“Le destin mêle les cartes et nous jouons.” ~ Jasper

Depuis quelques temps, les choses ont bien changées en ville ; un changement qui reste très polémique quelque soit l’interlocuteur. Il y a ceux qui sont plutôt pour cette répartition mais qui en demande toujours plus, j’ai entendu certains parler d’ériger des murs entre les quartiers. Une idée que je ne peux pas cautionner, même si on parle de monstres qui me font peur. Et il y a ceux qui ne comprennent pas pourquoi le gouvernement a accepté une telle chose pour Bristol. Je fais partie du second groupe, je n’aime pas spécialement l’idée de laisser aux Aberrations de la place en ville ; encore moins aux lycans. N’est-ce pas leur donner du pouvoir ? Un façon de leur donner une possibilité de renverser le gouvernement ? Je psychote sûrement un peu trop, j’en ai bien conscience et même si cela ne me plait pas de le reconnaître, certaines Aberrations ne sont pas forcément des monstres. J’ai une petite pensée fugace pour l’un de mes patients mais je l’éloigne rapidement de mon esprit. Aujourd’hui, je suis de repos et j’ai décidé de profiter d’une température agréable pour me promener en compagnie de Nasty. Ce genre de sortie me fait une bien fou et je préfère éviter de penser à ce qui m’entoure ; encore plus en fonction du quartier dans lequel je me trouve. Même si j’en évite certains. J’évite également de trop penser à mes soeurs et mon frère, pour m’éviter toutes pensées négatives, notamment concernant ma jumelle qui doit être je ne sais où à faire son travail. J’espère simplement qu’elle va bien et qu’elle continue de faire attention à elle.

Certains enfants viennent à moi, un peu maladroits pour me demander l’autorisation de caresser mon beau berger-allemand. Cela me fait toujours sourire et j’accepte de les laisser faire ; Nasty étant déjà en train de leur lécher les doigts, signe que cela ne le dérange pas. Quand je pense qu’il a été abandonné car trop méchant, quand je le vois ainsi, je ne comprends pas ses anciens maîtres. Passons.

La journée se passe ainsi, pour finir dans le St Andrew Park, assise sur un banc, un gobelet de thé à la main et mon chien en train de se reposer à mes pieds. C’est reposant.

Je jette un regard à mon portable pour aviser de l’heure, me disant que je ne devrais pas tarder à rentrer. Il faut encore que je passe le point de contrôle pour pouvoir entrer en toute tranquillité dans mon quartier.

Je termine mon thé, notant le nom du bar dans lequel je l’ai acheté pour y retourner, avant de me lever. Je jette le gobelet dans une poubelle non loin, observant un Nasty peu convaincu d’avancer, je pense qu’il serait bien resté encore un petit moment à ne rien faire. Je le vois bouder mais à l’annonce de son repas lorsque nous serons à la maison, il secoue la queue et son expression change ; je le vois même si je ne suis pas aussi douée avec les animaux que ma soeur cadette.

Alors que je traverse le parc, je m’arrête momentanément. Je ressens une étrange sensation dans la poitrine, quelque chose qui est à la fois agréable et gênant. Je ne comprends pas ce qui m’arrive et décide donc de passer mon chemin, je dois juste me faire des idées.
Mais mes pas m'emmènent dans une direction dont je n’ai pas conscience, comme attirée.

Tu sais pas comment t’as fait pour te retrouver dans cette situation. Dans ce parc, à la recherche d’une proie, tout ça pour honorer un contrat que t’as même pas envie d’honorer. Mais c’est pour ta famille. Tant que c’est pour ta famille, c’est pardonnable, pas vrai? Tu peux agir de la plus ignoble des manières, mais si t’as une raison de le faire, t’iras pas en enfer? Mais va te faire foutre, Clyde, même toi tu sais que tu dépasses les bornes, que t’as jamais été aussi égoïste que ça. Tout ça pour retrouver un père qui n’a pas fait l’effort de te trouver toi. Mais t’es déjà dégoûté par toi-même, un peu plus un peu moins, ça changera pas grand-chose, qu’on se le dise. Tu traques. Assis sur un banc, tu traques. LA cible. Parce que tu vas pas t’amuser à mordre, sous ta forme de loup, tous ceux qui se pointent. Toi t’es pas d’accord, t’es pas de ce réseau-là. Toi tu fais ça parce qu’on t’oblige, ou bien c’est l’excuse que tu te trouves pour agir comme un enfoiré? Dans tous les cas, t’as décidé que tu choisirais ta cible parmi les pires de l’espèce humaine, ceux qui peuvent disparaître, ceux qu’on recherchera pas. Des mecs comme toi, en somme. C’est bien plus simple de les transformer et la culpabilité est beaucoup moins présente quand tu les estimes pas.

ça fait deux jours que tu suis le même mec. Il est pas si désagréable, finalement. Il fait tout ce qu’il a à faire pour survivre, il deal, certes, mais il a pas de comptes à rendre. Il a pas de famille, de visu, pas d’amis non plus. Il a rien, pas de but à par celui de vivre pour voir le lever de soleil. La situation en ville elle le touche à moitié, dans le sens où il regarde certainement beaucoup plus souvent par-dessus son épaule, mais pas au point de comprendre quand quelqu’un le prend en filature. Il est inquiet, parce qu’il y a des monstres qui vivent dans le noir et qu’il ne le savait pas il y a encore quelques années. Mais il te faut plus que ça. Tu ne peux pas agir juste avec ce que t’as sous les yeux. Il faut qu’il faute, qu’il fasse quelque chose qui te pousse à dire qu’il mérite la douleur, le désespoir, la Bête au fond. T’es égoïste, certes, mais pas au point de transformer femmes et enfants pour avoir ce que tu veux. Egoïste mais pas mauvais, c’est là toute la nuance qu’on peut retrouver chez toi. Détestable mais pas maléfique. Jax dans toute sa splendeur. Mais il bouge pas, il fait rien. Et tu aurais continué à l’observer si tout ton être ne t’avait pas dit de bouger à ce moment-là. Tu sais pas comment, tu sais pas pourquoi, mais t’as ce besoin impérieux de te dégourdir les jambes. De laisser Tom Hawkins - c’est son nom - vaquer à ses occupations pour te concentrer sur quelque chose d’autre. Peut-être que c’est l’ennui, peut-être pas, t’en sais rien, le fait est que tu bouges de ton banc pour t’ammener une centaine de mètres plus loin.

T’as aucune idée de ce qui a pu t’amener là, mais quand tu regardes autour de toi, t’as l’impression que tous les bruits alentours, pendant une seconde, cessent d’exister. Il n’y a que toi. Et elle. Elle ne t’a pas encore vu et pourtant ton regard reste fixé sur sa silhouette. T’as ce sentiment qui t’envahit, et tu ne sais pas vraiment ce que c’est, alors tu l’apparentes à la haine. Comme un automatisme, quand le monde se remet en marche, t’es en colère. Comme toujours. Mais cette fois, t’as une cible. Tu t’élances vers elle, et avec force, tu la plaques contre le premier arbre à proximité, ton bras sur sa gorge. T’as le berger allemand à côté qui gueule, tu l’entends, il attaque pas. Tu ne sais pas si c’est ta nature qui le pousse à rester à l’écart, mais pour une fois tu t’en fous, t’as l’avantage. “ J’espère que tu te souviens de moi. Tu sais, celui que t’as essayé de buter. J’espérais te recroiser, histoire de régler définitivement nos comptes.” T’avais même fini à moitié en sang dans la caisse d’une infirmière. Pour sûr que tu risques pas de l’oublier, celle-là.

Perdue dans des pensées plus ou moins intéressantes, je ne l’entends pas arriver. Et même si cela avait été le cas, il n’est pas certain que j’aurais senti le danger fendre sur moi. En l’espace de quelques secondes, je me fais bousculer et plaquer contre un mur. Ma gorge se retrouver bloquée et je peine à respirer correctement. Nasty aboie mais n’attaque pas, comme s’il n’osait pas. Ce n’est pas normal. Mais je n’ai pas le temps de me poser plus de question sur le comportement de mon chien que l’inconnu prend la parole. Et quand je croise son regard, je sens mon coeur faire un bond dans ma poitrine et je doute que ce soit lié aux accusations qu’il me lance. Sauf que l’un comme l’autre, je ne sais pas ce qui est en train de se passer. Je ne comprends pas de quoi il veut parler, si j’avais voulu tuer quelqu’un je m’en souviendrais bien mieux, qu’on se le dise. Et l’inverse doit être tout aussi logique. S’il me prend pour la personne qui a voulu le tuer… Ca ne veut dire qu’une chose : Perséphone. Quand on a une soeur jumelle qui bosse pour le gouvernement, sur le terrain et qui traque les Aberrations, c’est son job de neutraliser les indésirables. Il fallait que ça arrive un jour… Même si j’aurais aimé l’éviter.

J’ouvre la bouche pour répliquer et je constate que parler s’avère plus compliqué que prévu avec ce poids sur la gorge. Et j’ai beau essayé de lui faire relâcher son emprise, il ne bouge pas d’un pouce. En quelques secondes, la peur monte en moi, plusieurs flots de souvenirs m’assaillent et m’oblige à réagir plus violemment que je le pensais. Je lâche la laisse de mon chien et j’essaye de frapper l’inconnu au visage. Et si cela ne fonctionne pas, alors j’utilise mon genou pour le toucher où ça fait le plus mal ; histoire de mettre le plus de chance de mon côté pour qu’il s’écarte -ne serait-ce qu’un peu- de moi.

« Ca va pas !? » Je parviens à articuler en continuant de frapper où je peux jusqu’à retrouver l’usage de ma respiration. « J’vous connais pas. »

L’espace d’un instant, j’ai deux options qui s’offrent à moi. Soit j’essaye de crier pour alerter autour de moi et espérer que l’on vienne m’aider. Soit j’essaye de me débrouiller de mon côté, car je ne sais pas qui pourrait entendre mon appel à l’aide. Et comment je suis censée lui faire entendre raison ? Si Perséphone -et ça ne m’étonnerait pas- à essayer de le tuer, alors il ne va sans doute pas vouloir me croire, après tout, on se ressemble bien trop… Sauf dans notre manière de nous battre, ça, lui va vite s’en rendre compte… Normalement.

« J’suis psy. Pas flic. » Je lance comme argument pour ma défense, en sachant qu’il y a peu de chance qu’il me prenne au sérieux. Pourquoi le ferait-il ?