Broken Time | Zach

En sortant de la salle de sport, elle portait de nouveau son attelle. Genou de merde qui ne fonctionnait plus correctement. Vampire de merde qui l'avait bousillé. En bonne partie guéri, le genou sus-mentionné rencontrait toujours des difficultés lorsqu'on le sollicitait trop. Trop longtemps ou trop d'efforts particuliers. Après le talon d'Achille, le genou de Perséphone. Heureusement, le reste du corps se portait bien ; de l'entraînement, beaucoup d'entraînement et elle retrouverait ses muscles fermes, son endurance et l'ancien niveau de rapidité de ses réflexes. Il y avait juste cet enfoiré de genou qui ne voulait pas se rétablir. Qui ne le ferait peut-être jamais complètement. Comme à chaque fois, elle en revenait dans une humeur entre deux. Déterminée, optimiste quant à ses progrès en même temps que frustrée et angoissée par ses faiblesses.

Celle-ci ne risquait pas de s'améliorer de retour à l'appartement, sa jumelle étant absente. Mais elle ne lui reprocherait certainement pas de continuer à avoir du travail malgré les circonstances. Douche prise dans les vestiaires, elle mit aussitôt sa tenue de sport dans la malle à linge, rangea son sac et seulement après s'empara de la crème prescrite par le médecin. Le désordre n'envahirait jamais son refuge ; tant que chaque chose était à sa place, c'était qu'elle allait bien. Une fois assise dans le canapé, elle détacha l'attelle, grimaça à la vue de ce qu'elle préservait. Rien d'horrible à voir, mais rien que ces dernières traces d'hématomes réussissaient à la dégoûter parce qu'elle savait que ce serait potentiellement suffisant pour la marquer à vie. C'était dans ces cas-là que les cicatrices des blessures dissipées lui sautaient aux yeux alors qu'elle arrivait à en faire abstraction la plupart du temps. C'était dans ces moments-là qu'une sensation oppressante la saisissait à la gorge. Quand l'attelle fut replacée, un malaise profond l'incita à vérifier que toutes les fenêtres demeuraient bien fermées. Peu importait le soleil éclatant. L'agent de la CAA ne pouvait se permettre de laisser des points d'entrée alors que sa tête figurait parmi les cibles de certains. Les anciens amis de Blerim pouvaient décider de mettre leurs menaces à exécution à tout moment. Ses bourreaux pouvaient revenir sur leur décision de la laisser vivre à tout moment. Une Aberration pouvait choisir de réduire les rangs de la CAA à tout moment.

Perséphone s'était faite à cette idée : sa vie serait probablement courte et sa mort brutale. Pas question de leur faciliter les choses pour autant. Ce qui la heurtait davantage, c'était qu'on la fuit. Enfin que des personnes à qui elle tenait sensiblement, sa famille, la reléguaient en liste noire. D'abord Anthea, maintenant Zach. Son filleul qui l'abandonnait juste après qu'elle ait survécu de peu... Elle ne pouvait croire qu'il puisse être si froid à son encontre. Bien sûr, la Révélation avait créé un fossé plus énorme encore entre leurs opinions respectives. Seulement si c'en était la raison, ce serait arrivé bien plus tôt, comme avec sa cadette. Le moment était quelque peu mal choisi pour lui envoyer le message « t'abuses avec ton job ». Il se passait forcément quelque chose dans sa vie pour le pousser à la distance. Et elle ne se défilerait pas encore une fois. Ethel l'avait encouragée, pour ne pas dire forcée, à réagir ce jour-là. Aussi douce fût-elle, on ne tournait pas inlassablement autour du pot avec elle – qualité qui manquait parfois à sa double au niveau sentimental. Donc, avant de sombrer définitivement dans des rêveries où elle arrachait salement les dents à des sangsues, elle sortit direction Redcliffe. D'après ses souvenirs, il n'avait pas cours en fin d'après-midi – mais depuis le temps, ses horaires avaient peut-être changé. Elle lui envoya un message juste avant de démarrer pour s'en assurer :

« J'espère que tu es chez toi, parce que j'arrive, que tu le veuilles ou non ! »

Il ne serait pas étonné de sa façon de faire. Par contre, elle n'avait aucune idée de sa réaction vu son comportement des derniers mois. Avant le Grand Incendie, il lui arrivait souvent de lui proposer des sorties ou de simples moments à l'improviste. S'il n'était pas libre ou n'avait pas envie, ce n'était pas grave – ils en avaient, du temps devant eux. Du moins, c'est ce qu'ils croyaient. A Réversa, la pratique avait perduré mais diminuait de par ses horaires. Il fallait aussi lui laisser de l'espace, à cause de ce qui était arrivé et, plus positiviment, des relations qu'il nouait... Nate. Il y eut comme un flash dans la tête de Perséphone. Zach aurait-il finalement cédé à l'idée de le voir ? Que lui aurait dit Nate ? Elle en était à se demander si c'était la raison pour laquelle Zach ne la voulait plus dans ses parages quand elle se garait. Ca ne lui plaisait pas, mais elle préférerait ça à ce qu'il soit en danger.

Sac sur l'épaule, Tupperware dans les mains, la blonde regarda avec un soupir la volée d'escaliers avant de commencer sa montée. Aujourd'hui, pas de ménagement. Elle avait l'air d'une idiote à tenter de gravir les marches en pliant le moins possible sa jambe gauche quand un abruti la bouscula et fit voler le plat.

« Mais putain, regardez où vous allez ! », jura-t-elle avant d'écarquiller les yeux.

Devant elle se tenait le fantôme avec qui elle cherchait à communiquer en vain depuis des semaines. Par réflexe, elle vérifia derrière lui qu'il n'était pas suivi.

« Tu vas où comme ça ? Il y a un problème ? »

D'abord, s'assurer qu'il allait bien.

J’ai encore acheté une plante. Alors que ça se trouve, ça ne sert à rien. Purée, pourquoi je n’arrive pas à apaiser ce sentiment de manque ?! J’aurais dû lui demander de venir habiter ici. Même si je ne le connais pas. Il n’est pas si loin de toute façon. Je peux aller le voir quand j’en ai envie. Mais il fait jour, il est probablement en train de dormir. Et je vais peut-être déranger son colocataire. J’aurai dû lui demander. Je devrais. Mais avec ma mère qui passe ici trop souvent pour mon propre bien et mon père qui veut s’assurer que « tout va bien » alors que j’ai de plus en plus de plantes chez moi, ce qui prouve que tout va mal parce qu’Aidan me manque, enfin sa présence me manque, ça ne choque personne ! Je sens que je vais installer un jardin sur mon balcon si ça continue. Bordel Aidan tu ne pouvais pas ne pas être un putain de vampire. Il est adorable, mais bordel ce qu’il ne m’arrange pas la vie. Je pourrais le dénoncer, mais il n’a fait de mal à personne, je le crois quand il me dit ça. Il ne mériterait pas d’être enfermé là-bas. Comme mon ex. Et puis, j’ai déjà perdu mon jumeau, en plus de mon ex, je n’ai pas envie de perdre quelqu’un comme Aidan. On ne se connait pas et pourtant, je n’ai pas envie qu’il quitte ma vie. C’est trop bizarre. Même avec Nate, ce n’était pas aussi fort au début.

J’entends mon portable vibré mais je suppose que c’est mon pote Logan qui me pose une autre question sur les vampires. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui en parler, pour savoir ce qu’il en pensait. Pour le moment, je ne peux pas lui répondre, je suis occupé avec le chat. Un petit chaton que j’ai trouvé dans la rue. Je ne lui ai pas encore donné de nom bien que j’hésite beaucoup à l’appeler Zech, comme mon jumeau. Je pensais que cette boule de poils avait faim, bah je me suis bien fait avoir, parce que tout ce que ce petit filou voulait était jouer. Et je sais qu’il adore jouer avec mes clés alors je les lui donne pour enfin répondre au sms de Logan. Mais ce n’est pas de la part de Logan mais de Perséphone qui ne me laisse pas le choix de lui dire qu’on ne peut pas se voir. Il faut que je parte. Le chat a de la bouffe, je suis tranquille. Et l’excuse, ça sera Logan justement. Je peux mentir par sms, il n’y a pas de problèmes. Je prends ma veste et mon portable, récupère mes clés, mets mes chaussures en quatrième vitesses et je quitte l’appartement en claquant la porte. Merde ! Elle m’a envoyé le message il y a trois minutes. Faîtes qu’elle soit venu à pieds, pitié dieu du hasard !

C’est portable à la main que je descends vite les marches de l’immeuble. Seulement, au passage, je rentre dans l’un de mes voisins. « Désolé madame … » Non ce n’est pas madame, pas l’une de mes voisines. Merde ! C’est Perséphone ! Je suis rentré dans Perséphone ! Je suis dans la merde, je ne peux plus l’éviter, c’est mort. Je suis mort, j’ai envie de mourir. Je dois faire la tête d’un merlan frit, les yeux et la bouche grands ouverts, en clair, j’ai l’air d’un idiot. En plus, il faut que je lui réponde. Je ne peux pas lui mentir sinon, elle va savoir que je lui mens, parce que je suis vraiment nul pour mentir, je bafouille, je ne regarde pas la personne et je triture mes doigts. L’enfer ! Et parfois, je me sens obliger de dire la vérité. J’ai donc appris à rester vague. Mais comment l’être face à cette question ? Et le silence qui prouve que je suis en train de réfléchir à la vitesse de l’éclaire pour lui trouver un mensonge ou au moins un truc à dire. En gros, toute mon attitude peut montrer que je ne voulais pas la voir. « Euh … non, non, il n’y a aucun problème. » A vrai dire, toute ma vie est un problème. Pourquoi a-t-il fallu que je rencontre un vampire aussi doux qu’un agneau ! Sérieusement, s’il était un tueur psychopathe, je l’aurais peut-être dénoncé à Perséphone. Mais il se trouve que ce vampire m’a sauvé la vie en plus qu’on ait ce truc, ce lien étrange. J’en ai encore parlé à personne de ce lien parce que je ne sais pas ce que c’est et il y a de grande chance qu’on me prenne pour un fou. « Déjà là ? » Mais oui, pourquoi je n’y ai pas pensé plutôt : répondre par une question est la réponse la plus vague que je peux donner ! Très bien, faisons ça ! Je vais répondre à toutes ses questions par des questions !

Bien sûr qu'il y avait un problème. Aucun sourire, aucun entrain, aucune accolade. Zach avait la tête typique de quelqu'un pris sur le fait. Elle le connaissait bien, il avait l'air pris de court et contrarié. Sa question le prouvait. Déjà là ? Le visage de Perséphone se ferma, blessée. Le seul danger que fuyait son filleul, c'était elle. Il avait tout fait pour l'éviter pendant des mois, il répondait à peine à ses messages et maintenant qu'ils se retrouvaient face à face, il réagissait de cette manière. Difficile de penser à un simple concours de circonstances. Agrippée à la rampe, elle baissa un instant le regard. Elle se sentait soudainement stupide. Quelle connerie de passer en pensant qu'ils profiteraient d'une soirée comme si rien ne s'était passé. Mais puisqu'elle était là, il fallait qu'elle sache au moins le noeud du problème. Zach était désormais assez grand pour assumer ses prises de position et lui dire en face ce qu'il avait contre elle.

« J'ai pris la voiture et je voulais m'assurer qu'on se voit... », répondit-elle en relevant les yeux dans les siens. Puis elle ajouta, un faux sourire aux lèvres : « Ca fait plaisir de te voir aussi pressé de m'accueillir. »

Un peu de sarcasme lui montrerait qu'elle n'était pas dupe. Il avait passé sa chance de présenter une excuse pour déguerpir, donc il ne pouvait plus que remonter avec elle vers son appartement. Parce que s'il avait vraiment eu une bonne raison pour partir alors qu'elle l'avait prévenu de sa venue, il le lui aurait dite sans tout ce malaise. Quand on était droit dans ses bottes, on n'avait pas une telle attitude. Et pas besoin de réfléchir à ce qu'on allait dire. Elle s'adoucit malgré tout lorsqu'elle reprit la parole :

« Tu veux bien ramasser ce que j'ai laissé tomber, s'il te plaît ? »

La boîte au couvercle vert gisait sur le pallier trois marches en-dessous. Elle était restée fermée heureusement ; elle n'aimait pas le gaspillage mais elle n'avait plus trop envie de partager un repas avec lui. Peut-être avait-il une bonne raison d'agir comme il le faisait. Peut-être surréagissait-elle. Seulement revoir Anthea par hasard alors qu'elle refusait tout contact depuis un an et demi la travaillait plus qu'elle ne l'avait laissé paraître. Elle avait l'impression que leur famille était vouée à se déchirer, quoi qu'il arrive.

« Je vais à une vitesse d'escargot aujourd'hui. Heureusement que t'habites au premier ! »

Valait mieux pour lui qu'il n'ait pas espéré qu'elle reparte en comprenant qu'il n'était pas heureux de la voir. Parce qu'elle comptait bien l'avoir, cette discussion. Elle reprit ainsi l'ascension, prenant plus d'attention à avancer aussi normalement que possible. Elle n'avait pas envie qu'il la voit galérer. Bien sûr, il pouvait voir l'attelle puisqu'elle portait un short, ça, elle ne pouvait rien y faire. Enfin... Après un juron et un « C'est trop long » d'exaspération, Perséphone l'enleva. Dans ce genre de situations, elle n'avait pas la patience de se ménager. L'objectif, rien que l'objectif.  Elle avança tout d'un coup plus vite mais, quand elle arriva aux dernières marches avant l'étage, son genou lâcha. Tombant en avant, elle porta les mains devant elle pour amortir le choc, à moitié sur le pallier et sur les marches.

Elle voulait s’assurer qu’on se voit et moi tout ce que je fais, c’est fuir. Mais je ne peux pas lui dire que j’ai dans la vie, un vampire dont je veux qu’il me colle aux baskets. En fait, j’aimerais qu’il soit mon colocataire. Mais soit je garde Perséphone proche de moi et adieu Aidan, soit je garde Aidan proche de moi et adieu Persé. J’ai dit adieu à Persé ce qui prouve lequel des deux je préfère. Alors qu’elle est ma marraine ! Quand j’étais gosse, elle a toujours été là pour moi, toujours à me défendre, à me révéler et ne pas avoir peur de qui je suis. Mais il y a eu l’incendie et elle est devenu … ça. On est beaucoup moins proche et elle ne m’aidera plus à m’affirmer. J’ai Cassandra à la place et elle, elle n’est pas ça. Oh oui, j’en veux énormément à Persé d’avoir fait le choix d’être ça et d’être une chasseuse. Elle sait ce que je pense des Nocturnes et des Humains à don, je ne serais pas tomber amoureux de l’un d’eux sinon. Mais si je les aidais, ça se saurait, avec ma mère qui passe me voir aussi souvent que Persé. Je ne les aide pas, mais je ne cherche pas à ce qu’ils ne soient plus ce qu’ils sont parce que ce n’est pas leur faute, on ne choisit pas qui nous sommes. En revanche, Persé à choisit d’être ça. Et même si récemment, je me suis fait poursuivre par un Lycan sous sa forme lupine et qu’il a quand même réussit me chopper la jambe malgré qu’un agent du C.A.A. m’a sauvé la vie ; je sais très bien faire la part des choses. A vrai dire, même si un Lycan ou un Vampire tue l’un des membres de ma famille accidentellement ou non, je n’arriverais pas à les haïr parce que je sais qu’ils ne sont pas tous pareilles. J’aurais pu mourir si l’agent ne m’avait pas soigné juste après. Depuis, c’est douloureux et ça me rappelle cette époque où ma brulure me faisait un mal de chien. Je crois que le surnaturel n’aime pas mes jambes !

Je m’exécute lorsqu’elle me demande de ramasser le plat. Actuellement, je me sens comme une merde. Persé reste un membre de ma famille, elle reste ma marraine et ce qui se rapproche le plus d’une meilleure amie. Malheureusement, je ne vois pas comment agir sans lui mentir ouvertement en protégeant Aidan. J’aimerais m’excuser d’être aussi malchanceux mais ça ne changerait rien. Je resterais toujours aussi malchanceux et maladroit. Je regarde ce qu’il y a dans la boite, ça à l’air succulant. Comme d’hab à chaque fois que Persé ramène à manger pour qu’on mange ensemble. Je comprends rapidement qu’elle voulait qu’on passe la soirée ensemble et peut-être que je lui dise pourquoi je fais un silence radio. Maintenant, elle n’a plus de doute, je l’évite ouvertement. Mon silence montre que je m’en veux.

A sa remarque sur sa vitesse, je ne peux que réagir. « Bienvenue au club. » Je ne suis pas quelqu’un qui cherche les ennuis, ce sont les ennuis qui viennent à moi malheureusement. Comme je l’ai dit, je suis malchanceux. J’aimerais l’aider à monter le restant des marches, mais je connais sa fierté, elle ne voudra pas d’aide, elle veut faire ça comme une grande et peut-être que ça l’aide dans sa rééducation. Mais … je n’étais même pas au courant qu’elle avait une blessure à la jambe. Si seulement j’étais venu la voir, au moins une fois … mais elle aurait vite compris que je cache quelque chose à cause de ma nervosité. Je ne sais définitivement pas cacher un secret. Et parce que ma malchance est contagieuse, à quelques marches à peine, Perséphone finit par tomber par terre. Je me sens vraiment minable. Mais comme je l’ai dit, je connais sa fierté. Inutile de proposer mon aide, je sais ce qu’elle va dire. Alors, je ne lui demande pas son autorisation et je prends son bras pour l’aider à se relever et qu’elle prenne appuis sur moi et finir de marcher ainsi. Je ne sais pas quoi dire. J’ai trop peur de dire la phrase qui pourrait la mettre en colère et qui pourrait me faire lâcher les nerfs. Parce que je suis émotif et c’est chiant d’avoir le nez qui coule. Faut renifler, ce n’est pas charmant et je fini émasculer.

Devant ma porte d’entrée, je la déverrouille et l’ouvre. J’espère vraiment que le fait que ma maison soit devenue le repère de Poison Ivy (l’une des méchantes dans Batman) ne choque pas Persé, qu’elle ne se dise pas directement que quelque chose ne va vraiment pas dans ma vie. Parce que je serais obligé de parler d’Aidan. Enfin, du moins, que j’ai subitement un lien étrange avec une personne que je ne connais pas. C’est un truc dont je n’ai jamais entendu parler, je crois. Je trouve le lien vraiment étrange, mais peut-être que c’est un truc d’Elfe, et Persé pourra m’aider. La première chose que je fais après avoir fermé la porte est de tirer une chaise pour qu’elle puisse s’assoir et je vais dans la cuisine en boitant un peu, pour lui apporter un verre d’eau. Puis je m’assois à côté d’elle et je baisse les yeux, honteux. Je ne peux même pas lui dire que je suis désolé parce que je ne le suis pas. Pour moi, c’était la meilleure chose à faire, je ne me voyais pas faire autrement.

Bien entendu, il fallait qu'elle tombe. Et devant lui. Ca ne devait pas influencer leur rencontre. En l'instant, elle ne voulait pas de son aide. Elle ne voulait pas que, malgré sa volonté de lui tourner le dos, la voir ainsi lui fasse pitié et qu'il se sente obligé de venir à son secours. Il ne pouvait pas soudainement se sentir concerné par ce qui lui arrivait. Il s'en foutait bien avant qu'elle ne se pointe à sa porte. Elle l'aurait repoussé si elle n'avait pas senti la nécessité de s'appuyer sur lui. Tomber en boucle serait franchement pire. Aussi... Malgré la colère, un soulagement perça quelque part. Après tout, elle ne savait rien, il aurait très bien pu en profiter pour déguerpir. Un soupçon de leur relation d'antan revint dans ses gestes ; il savait qu'il ne fallait pas demander et agit presque naturellement. Presque.

Comme lui, Perséphone resta muette. En revanche, pas de malaise pour elle. Plutôt du ressentiment et de l'ego blessé mêlés à de l'appréhension. Ils parleraient lorsqu'ils seraient à l'intérieur, en privé. Une conversation tendue les attendait. Elle ne comprenait pas comment Zach avait pu changer si radicalement à son égard. Elle ne comprenait pas comment il pouvait balayer toutes leurs années de complicité. Au moins, avec Anthea, les disputes avaient commencé bien longtemps avant sa décision. Ce n'était pas arrivé du jour au lendemain, sans raison apparente. Eux s'étaient rarement pris la tête ; même au sujet des Nocturnes, elle faisait en sorte d'éviter les débats. Cette situation lui paraissait d'autant plus extrême et, surtout, complètement irréaliste. Le noeud du problème venait-il de Nate ? S'il venait de son travail... Alors, ça voulait dire qu'un élément nouveau était apparu, puisquil n'avait pas réagi aussi violemment en l'apprenant. Elle ne voyait pas trop ce qu'elle avait pu faire récemment qui changeait la donne, étant donné qu'elle avait été en convalescence et était toujours plus ou moins écartée de l'action.

Tandis qu'elle réfléchissait, elle le suivit dans son séjour, accepta machinalement la chaise qu'il lui présenta. Les plantes ne lui parurent pas incongrues ; elles éveillèrent plutôt chez elle un sentiment d'apaisement. Elle replaça l'attelle pendant qu'il partait dans la pièce voisine. Quand il déposa un verre d'eau devant elle, elle n'y fit pas attention, et se contenta de l'observer. Les yeux baissés. Il ne la confrontait pas. Il ne l'accusait pas. Alors que se passait-il ? Toujours silencieuse, elle continua de le regarder tout en réfléchissant. Si ça ne venait pas d'elle, alors ça venait de lui. Avait-il peur d'elle ? De sa réaction ? Elle avait toujours ce réflexe de considérer que le problème découlait d'elle, ainsi l'idée qu'il soit responsable ne lui avait pas effleuré l'esprit. Mais rien n'avancerait tant qu'elle resterait dans les spéculations. Son filleul ne s'apprêtait de toute évidence pas à parler. Même en face-à-face, il poursuivait son silence radio. La peur de se trahir, peut-être. La peur de blesser Perséphone, éventuellement.

« Explique-moi ce qu'il se passe. Tu n'es pas obligé d'entrer dans les détails, mais j'ai besoin de savoir pourquoi tu te comportes comme ça avec moi. »

Enfin, ses lèvres s'animaient. Sans doute pas pour le bonheur de l'Elfe. Le reproche se perçevait dans sa voix, mas elle tenait à garder un ton relativement neutre pour le moment. Ce qu'elle souhaitait, c'était des réponses et le braquer ne lui en donnerait sûrement pas. Peut-être explosera-t-elle plus tard. Elle pouvait se montrer diplomate quand il le fallait. Elle savait qu'il ne savait pas mentir, et c'était potentiellement ce qui le retenait, ainsi elle lui laissait, dans un premier temps, l'opportunité de donner une justification « générale ».

D'une main, elle releva le visage de Zach afin qu'il la regarde pour ensuite la retirer aussitôt et, ce faisant, déclara :

« Je pense que je le mérite. »

Même une fois assis, chez moi, en face d’elle, je n’arrive pas à parler. Même pour dire une connerie qui pourrait trahir mon angoisse, ma nervosité. Elle sait que je n’aime et ne sais pas mentir. Mon silence doit forcément montrer que je me retiens de lui dire toute la vérité. Si seulement elle ne travaillait pas avec eux. Est-ce que ça existe un Spectre rebelle ? Probablement. Mais ce n’est pas le cas de Persé, ou elle me l’aurait dit. Elle non plus ne dit pas grand-chose. Elle doit sûrement se demander ce que je lui cache. Quand j’ai découvert que j’étais gay, elle était la première à le savoir, la première à savoir quand j’ai été en couple avec Nate. Et plein d’autre truc. Avant aujourd’hui, avant quelque mois, j’étais presque un moulin à parole pour lui dire tout ce qu’il pouvait m’arriver. Que je voyais souvent une camarade Jena, qu’elle a disparu et quand elle est revenue, elle m’a complétement ignoré. Elle sait tout ça. Et puis j’ai rencontré Aidan et je fais un silence radio. Je suis sûr que ça ne doit pas être facile pour elle d’essayer de ne pas me parler de ce silence radio. Elle veut des réponses. Et moi, j’aimerais vraiment lui en parler. Lui parler de mes doutes, lui poser des questions, lui dire que je me suis fait attaquer par un Lycan, lui demander comment elle s’est faite ça.

Bon au moins, elle ne me demande pas de détails, mais comment je pourrais le lui expliquer tout en restant vague. Elle me soulève le visage comme pourrait faire ma mère lorsqu’elle attendait une réponse de ma part. Oui elle le mérite. J’ai envie de pleurer. Pourquoi a-t-il fallu que je sois si sensible ? « De manière général … je fais ça pour protéger quelqu’un. C’est pas personnel Persé, je te le promet. Si tu … » Et il vaut mieux que je me taise si je ne veux pas lui donner d’indice sur la nature de ce quelqu’un. Je ne sais même pas comment elle pourrait réagir si elle apprenait que je protège un Nocturne. Que je ne veux pas le voir enfermer là-bas. En général, je ne veux pas qu’un quelconque Nocturne ou humain soient enfermés là-bas mais avec Nate, je n’ai pas eu le choix et j’accepte le sors. Mais là, pour Aidan, je ne pourrais pas l’accepter et qui sait se dont je serais capable.

« Je … J’aimerais vraiment t’en parler plus en détail, tout te raconter parce que cette histoire est un truc de ouf, mais je peux pas. » Parce que je prendrais le risque de révéler la nature d’Aidan et j’ai peur qu’elle veuille faire quelque chose de fourbe pour qu’elle puisse faire son job. Qu’elle préfère faire son job plutôt que moi. Je ne sais pas non plus de quoi elle capable. Cette situation ne nous est jamais arrivée. Elle n’a jamais eu à faire le choix entre choisir son job ou me choisir moi. Je ne la connais pas par cœur et je n’ai pas confiance envers ceux pour qui elle travail. Comme je ne sais pas se doit elle est capable, je ne peux pas avoir confiance en elle.

Le voir démontrer tant de difficulté à lui parler s'avérait douloureux. Ce n'était pas ça, eux. Jamais aucune tension n'avait réussi à enrayer leur relation. La plus saine qu'elle n'avait et n'aurait jamais, sans aucun doute. Eux, c'était des rencontres improvisées, des discussions qui pouvaient durer des heures, des mauvais tours au grand désespoir de leur entourage, des séances de découvertes culinaires parfois à leur grand malheur,... à base de confiance et de soutien. Et voilà qu'il lui arrachait tout ça. Voilà qu'il disait : tu n'es plus digne de confiance. Parce que protéger quelqu'un qu'il venait de rencontrer devenait plus important que tout ce qu'ils avaient construit en des années. Perséphone recula. Son regard chercha la fuite avant de se reposer sur Zach. Elle n'arrivait pas à poser des mots sur ce qu'elle ressentait à cet instant, et certains éléments lui étaient totalement inconscients. Elle avait pourtant pour principe de ne rien attendre des gens.

Non, il ne pouvait pas lui parler, poursuivit-il. Il ne pouvait pas tenter d'évaluer avec elle la situation, de savoir si tous ses efforts pour la rejeter étaient utiles, légitimes. Il ne pouvait pas imaginer trouver une solution avec elle, bien sûr. Comment le pourrait-il ? Elle n'était qu'un monstre qui enfermait les gens. Il la connaissait bien ! Après vingt-deux ans, il savait à quoi s'en tenir. Ses lèvres se pincèrent, signe que la colère montait. Dos droit contre le dossier de la chaise, elle croisa ses bras sur son buste. Elle ne répliqua pas, pas tout de suite. Quelque part, elle espérait qu'il se rende compte de ce qu'il faisait. Qu'elle n'ait pas à prononcer les mots à voix haute. Cependant, tout ce qui lui importait se réduisait à cette mystérieuse personne.Tant pis pour le reste. Elle finit par articuler, raidement.

« Si je comprends bien, tout ce qui compte pour toi c'est de protéger ce... cet individu. » Aberration. Cette Aberration. Bien sûr que c'en était une. Pourquoi aurait-il peur d'une Spectre sinon ? « Et je peux devenir l'indésirable sans que ça te pose problème. »

On était si peu de choses. Interchangeable avec la première créature venue jouant les victimes. Franchement, elle ne savait pas ce qui la retenait de partir en claquant la porte. Si elle méritait une explication, lui ne méritait rien de sa part. Hors de ma vie, avait-il hurlé par son silence. Et elle, abrutie qu'elle était, restait. Bonne idée pour lui donner de nouvelles opportunités de la blesser.

Un soupir franchit ses lèvres. Elle baissa un instant la tête, sa main soutenant son front, alors qu'elle fermait les yeux. Quand elle releva le visage, il apparaissait attristé.

« Tu te rends compte de ce que tu fais ? Me releguer à... Rien. Je représente si peu à tes yeux ? Si peu que dès que tu as peur de ma réaction, la seule chose que tu trouves à faire, c'est me rejeter. Bravo pour cet esprit pragmatique que tu me cachais. »

Et voilà que des larmes s'agglutinent au coin de ses yeux. Génial. Elle n'avait pas l'habitude de montrer à quel point on pouvait la toucher. Surtout pas quand c'était négatif. Si elle posait jusque là ses yeux accusateurs sur Zach, elle détourna le regard tandis qu'une main venait frotter les larmes qui commencaient à couler. D'une voix maîtrisée, elle l'interrogea brusquement :

« T'as trouvé la solution tout seul ou il te l'a conseillé ? »

Je me mords la lèvre, gêné, qu’elle ait tout comprit, qu’elle soit si perspicace. Malheureusement, c’est le cas. Je préfère protéger Aidan et perdre ma relation avec Persé, plutôt que prendre le risque de perdre Aidan et de garder Persé près de moi. Si le Nocturne en question n’avait pas eu un lien aussi proche de moi, qu’il soit juste un ami, je n’aurais pas coupé les ponts avec Persé. Mais il est bien plus qu’un ami alors que je ne le connais depuis pas si longtemps. C’est insensé ! Je l’ai vexée, sans aucun doute. Et la blesser ne me rend pas du tout fier de ce que j’ai fait. Mais à quoi je m’attendais ? Qu’elle sauterait dans mes bras en me disant que je suis un génie, que c’est la meilleure idée que je n’ai jamais eue ? Bien sûr que ça ne lui aurait jamais plus, mais je suis à court d’idée ! Je ne veux pas prendre le risque de le mettre en danger. Que je fasse confiance ou non à Persé, c’était un risque que je ne voulais pas prendre. Je ne la voie pas comme une alliée dans cette histoire et j’ai cette fichue habitude de vouloir me débrouiller tout seul. La preuve en est lorsque je me suis renfermé après l’enfermement de Nate.

J’ai aussi envie de pleurer. Je l’ai déçue. Génial ! Vraiment génial ! C’est exactement ce que je voulais ! Décevoir la seule personne que je ne voulais pas décevoir, la seule personne de ma famille. Mon regard se fait triste. Et évidemment, la voir pleurer me fait pleurer. On a l’air fin ainsi. Mais … je suis sûr de l’avoir connu plus forte que ça. Je l’ai vraiment blessé. « Ça ne peut venir que de moi les idées de merde. Il n’est pas encore au courant que ma marraine est une chasseuse. » Lui dis-je sur un petit ton de reproche pour lui faire comprendre qu’il est là le problème. Si j’avais fait cela à Aidan, ça pourrait, soit le faire flipper, soit lui faire penser que je lui tends un piège. Mais je lui fais aussi comprendre que sur le coup, c’était la seule idée qui m’était venu. Peut-être qu’avec plus de temps, j’aurais pu trouver une solution, ou peut-être pas. Ça fait seulement quelques mois que je le connais et entre temps, ignorait Perséphone, la fuir, était ce qui me sembler être la meilleure idée. Ce n’était pas forcément le cas.

Sa réaction me fait poser des questions. Est-ce qu’elle peut vraiment m’aider ? Ou juste fermer les yeux sur le fait que j’ai fait ami-ami avec un Nocturne ? « Parce que tu serais prête à Leur mentir ? A ne pas le chasser, le traquer, l’enfermer pour moi ? Je sais que je suis ton filleul mais je suis presque sûr que ton job passe avant ta famille, n’est-ce pas ? » J’espère vraiment que je me trompe. Parce que je veux vraiment lui raconter cette histoire folle. Nous n’avons jamais parlé de son travail. Je ne sais pas ce qu’elle fait, si elle torture ou si elle est prête à abandonner sa « proie » si elle voit qu’elle est inoffensive. « Persé … promet-moi que tu ne lui ferras rien ? » Je suppose qu’elle pourrait vouloir essayer de l’attraper pour l’enfermer. Faire des rondes près de chez moi pour savoir qui il est et pour lui tendre un piège. « Ce n’est pas envers toi que je n’ai pas confiance mais envers Eux. S’Ils apprennent que tu connais possiblement un Nocturne, tu serais prête à le défendre ? A te liguer contre Eux ? Si je ne t’ai rien dit, c’est surtout pour t’éviter de choisir entre Eux ou moi. Je ne sais pas de quoi tu es capable pour ce job. Je t’ai toujours connu hors travail. Miraculeusement, ça n’est jamais intervenu entre nous. Jusqu’à maintenant. » Je l’avais dit, un vrai moulin à parole lorsque je suis avec elle. Je n’arrive pas à lui cacher quoique se soit. Qui sait quel indice j’ai bien pu lui donner. Mais la voir si triste me donne, peut-être naïvement, confiance en elle. Elle n’est pas débile, elle a bien compris qu’il s’agissait forcément d’un Nocturne. « Tu aurais préféré que je te fasse confiance, j’imagine, mais je ne peux pas prendre le risque de le mettre en danger. J’aurais fait la même chose s’il avait été … Zech. » Je veux lui faire comprendre qu’Aidan est important pour moi, aussi important que l’est mon jumeau.

Mais Zach n'était pas n'importe qui. Elle avait intégré la déception comme une composante inévitable aux relations sociales. Elle savait l'encaisser, relativiser. Normalement. Il s'agissait de Zach. Ses mots l'avaient profondément entaillée, plus qu'elle ne l'aurait imaginé. En cet instant, elle ressentait à quel point il était important pour elle. Ce sentiment iconditionnel la troublait, elle qui s'attendait davantage à se mettre en colère. Bien sûr, elle savait qu'elle aimait cet enfant, seulement pas avec une telle force. Songer seulement à la possibilité de fermer les yeux pour lui ? Uniquement pour lui, sans raison ? Que l'option lui traverse l'esprit sans être chassée aussitôt était complètement dingue. Qu'avait-elle dit à Blerim ? Si tu décides de devenir fugitif, ne me considère plus comme une alliée. Elle ne négociait pas sur ce point. Pas de fugitifs, pas d'exceptions. Alors pourquoi l'éventualité arrivait à se faire une place quand lui le demandait ? Pourquoi le voir pleurer, le voir si attristé, si paniqué la faisait flancher ? Elle aurait voulu sécher ses larmes, lui dire ce qui le rassurerait.

Plus encore quand il cita Zech. Son coeur se serra à son évocation. Elle s'était levée entre-temps ; tant pis pour sa jambe, elle avait besoin de bouger. Leur lien avait été semblable à celui qu'elle partageait avec Ethel. Elle avait expérimenté dans une moindre mesure la perdre. Elle avait déjà imaginé lui survivre, ou essayer car elle n'y arrivait pas. Et Zach comparait le fauteur de trouble inconnu à son jumeau. Son regard se porta sur lui. Une seconde, son visage fut remplacé par celui d'un jeune enfant et ses mots résonnèrent en elle. Je ne peux pas te faire confiance, je ne peux pas prendre le risque de me mettre en danger, souffla-t-il apeuré. Une seconde et la réalité reprenait le dessus. Une seconde et les larmes de Perséphone coulèrent de plus belle. Sous le choc, elle se rassit. Il a pris ma place, assume-le, proféra avec rancoeur le fantôme.

Elle restait immobile, contemplant Zach comme si c'était la première fois qu'elle le voyait depuis dix ans. Essuyant le trop plein d'eau au bord des yeux, elle reprit finalement constance. Cela avait duré peut-être trente secondes. Suffisamment long pour qu'elle lise dans son regard, à nouveau, cette tristesse, et surtout cette peur qui lui faisait perdre ses moyens.

« Est-ce que c'est... ton opposé ? », demanda-t-elle pour clarifier la situation. « Il en a l'air. Et si c'est le cas, tu penses vraiment que je pourrais lui faire du mal consciemment ? »

Elle avait l'impression de découvrir l'image qu'il avait réellement d'elle. Et en même temps, à cause du revenant qui la perturbait, elle se demandait s'il n'avait pas raison. Si elle n'était pas capable d'aimer sa propre chair, de quoi était-elle capable ? Si elle avait pu tuer son propre bébé, qu'est-ce qui l'empêchait de nuire à son filleul ? Anciens tourments, nouvelles incertitudes. Accompagnés d'anciennes habitudes. Heureusement, ils étaient chez Zach. A l'extérieur, elle aurait sûrement craqué et bu un verre d'alcool. Elle en ressentait le besoin, mais il n'y avait qu'un verre d'eau dont elle se saisit et but dans l'espoir que le geste suffirait à écarter son vice.

« Je peux te promettre que je ne ferais rien qui te mettrait en danger, Zach. »

Elle l'affirmait. Elle en était sûre. C'était un accident. Un malheureux accident dont elle avait failli ne pas en sortir non plus, qu'elle n'avait jamais voulu. Il n'était plus là pour lui injecter de poison.

Etait-elle pourtant prête à fermer les yeux ? Elle ne savait pas quelle influence cette Aberration pouvait avoir sur lui. Par contre, elle savait très bien que le mode de vie fugitive impliquait des restrictions amenant à plus d'instabilité encore. Que le simple fait de le rencontrer dans la clandestinité lui faisait prendre des risques. Cela faisait partie des dangers qu'elle voulait lui éviter. Son regard se voila un peu plus par le chagrin tandis qu'elle se préparait à l'avance à l'inévitable incompréhension qui allait suivre ses paroles.

« Lui permettre de fuir la réalité, ce n'est pas le protéger. Il peut se manifester, il peut passer le Rituel, sa vie ne sera pas menacée. Tant qu'il reste fugitif, il risque des problèmes mais il les choisit en connaissance de cause. Par contre, il fait encourir des risques aux autres et, surtout, à toi. S'il se déclare à la CAA, je ferais tout pour que tout se passe dans les meilleures conditions. C'est toi que je défends, que je veux protéger. Tu ne pourrais pas le convaincre ? »

Jamais elle ne le mettrait en danger et c'était peut-être pour cette raison qu'elle perdrait sa confiance.

Est-ce qu’il est … mon opposé ? C’est quoi cette question ? Bien sûr que non, il ne l’est pas ! Un opposé c’est un truc rare non ? C’est un truc qu’ont nos parents, c’est un truc puissant. C’est un truc … Non, ce n’est pas possible. Aidan ne peut pas être mon opposé. Je fronce les sourcils en regardant autour de moi. Ces plantes sont censées replacer un manque en moi. Parce que c’est ce que je ressens depuis un certain temps. Depuis que je l’ai rencontré ? Merde, ça colle. Non, ça ne peut m’arriver ! Ça le met tellement dans la merde ! Je sais qu’ils n’auront pas le droit de le tuer mais ils peuvent l’enfermer, là-bas et je suis sûr qu’on a une vie de merde là-bas. « Si c’est le cas, je pense que tu peux comprendre pourquoi je veux le garder près de moi. » S’il est vraiment mon opposé, ça expliquerait beaucoup de choses, comme ces plantes, ce chaton qui mange ses croquettes dans la cuisine, ce manque toujours présent, ses pensées dirigées vers lui. Merde ! Il est mon opposé ! « Je sais que tu ne me mettras pas en danger. Mais je m’en fous de moi. C’est lui qui m’importe. Je veux son bonheur et être enfermé là-bas ne le sera pas. » C’est totalement une phrase que je pourrais dire à propos de Nate. Mais Aidan est tellement plus. Plus que Nate, plus que Persé, plus que Cassie. Aussi important que l’a été Zech.

Je comprends tout à fait qu’elle veuille me protéger moi plutôt que lui, je suis sa famille. Lui est un inconnu et Nocturne. Mais j’ai besoin de lui à mes côtés et heureux. Et qu’il soit enfermé là-bas ne sera pas du tout le cas. En revanche, s’il passe le Rituel, et par miracle, il en ressort indemne, ça nous arrangerait tous les deux, elle n’a pas tort. Mais Aidan doit être fier de qui il est maintenant, il en a pris l’habitude, il sait se contrôler, il ne voudra jamais changer juste pour qu’on soit dans une situation correcte. Et je suis personne pour le lui ordonner. Je vais surement lui en parler parce que mettre ma marraine dans cette situation, me mettre dans cette situation ne m’enchante pas du tout. « Il ne voudra jamais passer le Rituel. Même si je lui en parle. Mais je ne veux pas le convaincre. Quoiqu’il choisisse, je serais toujours de son côté. » Je n’ai jamais vu le Rituel comme quelque chose de grave. Je sais que si j’avais été un Vampire, je l’aurais probablement passé. Mais je suis né Elfe, je suis fier de ce que je suis et je compte le rester à vie, et ne pas passer par la casse Spectre comme l’a fait Persé. « Je ne supporterais pas de le voir lui aussi enfermer. Nate passe encore parce que c’était sa décision. Lui, il tient à être libre et tu n’arriveras pas à me convaincre qu’on l’est là-bas. C’est faux. Et moi, c’est lui que je veux protéger. Et il ne m’a jamais mis en danger. Il n’a pas d’ami Vampire, c’est même lui qui m’a défendu lors d’une attaque de Vampire. » Finis-je par dire. Sauf que non, ce n’était pas un truc à lui dire. Je me pince les lèvres en réalisant de ce n’est pas une information qui le mettra à son avantage. « Ouais, j’ai retrouvé mon pouvoir, attirer les problèmes. Je me suis même fait attaquer par un Lycan aussi. » Autant tout lui dire hein, on n’est plus à ça près ! « Ecoute, il est un Vampire très sage. Il ne fait de mal à personne. Il fait même très bien à manger. S’il je lui demande de passer le Rituel et qu’il refuse, qu’est-ce que tu vas faire ? » Je suis vraiment inquiet pour les deux. J’ai peur de ce que Persé peut faire contre lui et j’ai peur que Persé fasse quelque chose à l’encontre de la loi alors qu’elle est la loi. Moi comme eux, je suis dans une sale position.

La situation était épineuse. Elle l'était déjà quand Zach se contentait de protéger une Aberration lambda, mais s'il s'agissait effectivement de son opposé... Ils ne trouveraient pas de terrain d'entente. Par ses paroles, il le confirmait. S'il avait d'abord l'air hésitant, l'évidence suintait de ses affirmations. Cet inconnu pourrait s'avérer un « simple » nouvel amour, mais Perséphone ne le pensait pas. Il ne parlait pas de lui comme il avait toujours évoqué Nate. Et si elle se trompait, quelques noeuds se dénouaient mais sa position restait inconfortable. Apparemment, deux options s'offraient à elle : fermer les yeux ou condamner cette personne. Conserver sa relation avec son filleul ou la détruire. Honorer ses principes ou les jeter.

Quelque part, elle s'accrochait à leur opposition. C'était plus facile à accepter que, peu importait ce qu'il arrive, l'Elfe serait toujours de son côté. Au moins, ça s'apparentait à un instinct de survie, un sentiment qu'on ne contrôlait pas. Elle pouvait mieux l'accepter, le comprendre. Cela n'empêchait pas qu'elle considérait son attitude inconsciente, voire naïve. Elle ne pourrait pas le convaincre qu'ils sont libres au Ribcage, par contre le Nocturne avait pu le persuader qu'il était libre de sa condition. Amusant comme un vampire qui protégeait quelqu'un des autres vampires était respectable, démontrait sa bonté, tandis que pour Humains et consort ça ne prouvait que leur haine.

A l'évocation de cette attaque, elle l'examina malgré tout à la recherche de potentielles blessures. Son expression avait dû trahir son inquiétude car il fit remarquer sa malchance d'un ton presque léger, qu'elle interpréta comme une façon de dire que rien de grave ne lui était arrivé. Par contre, c'était raté pour la rassurer quant à ses fréquentations... Et ça ne faisait que renforcer son opinion sur le besoin de contrôler les Aberrations. L'agent de la CAA haussa un sourcil à l'écoute du plaidoyer en faveur du mystérieux fauteur de troubles. Très sage qui ne faisait de mal à personne. Et les marmottes emballaient le chocolat. Bien sûr vint la question qu'ils ne pouvaient éluder. Si l'opposé refusait le Rituel, qu'allait-elle faire ? On en revenait aux options... Fermer les yeux ou le condamner. Elle soupira et s'adossa à la chaise. Reprit le verre, en but une gorgée et le garda en main. Qu'elle aurait voulu sentir la chaleur de l'alcool dans sa gorge.

« J'ai besoin de réfléchir. Demande-lui toujours... Et je te promets que je t'avertirais, quoi que je décide. »

Elle se sentait piégée, et pourtant elle savait qu'elle ne pourrait pas jouer l'ignorante. Trahir Zach et le rendre malheureux lui paraissait aussi impossible. Mais était-elle prête à lui faire courir des risques pour conserver sa confiance ? Le protéger restait un de ses devoirs. Son importance dépassait largement ce qu'il pouvait bien penser d'elle. Un mal pour un plus grand bien. Résignée, elle se leva après avoir redéposé le verre.

« En attendant, il vaut mieux que je m'en aille. Je ne veux pas en savoir trop, et toi encore moins. »

Oui, il se sentirait plus à l'aise si elle avait le moins de détails possible. Même si elle décidait de ne pas faire d'exception, elle n'avait pour l'instant franchement rien de concret pour arrêter l'opposé de Zach. Difficile de passer une soirée tranquille et sereine après cette discussion. Elle attrapa son sac, se retourna vers son filleul.

« Fais attention à toi, s'il te plaît. »

Je pense que je vais faire mon possible pour le persuader de lui faire passer le rituel. Parce qu’à présent que j’ai Perséphone en face de moi, je me rends compte qu’elle m’a bien manqué. Elle est la seule famille dont je suis le plus proche. Mon frère Tyler a plus ou moins coupé les ponts avec moi, ma mère travaille avec des personnes que je ne peux pas blérer, mon père c’est la même chose et c’est un peu pareil avec Persé. Mais contrairement à mes parents, elle a réussi à rester le plus proche de moi. Persé est ma meilleure amie plus qu’elle n’est ma marraine. Et ma meilleure amie me manque. Parler de mes soucis, de mes amours me manquent. Je peux faire ça pour elle mais aussi pour lui. Peut-être qu’il n’a plus envie d’être vampire, qu’il en a marre de ressentir cette faim constante.

Mais il se trouve qu’elle veut partir. Déjà ? Non ce n’est pas possible ! Je veux qu’elle reste ! J’ai aussi besoin d’elle ! Et peut-être qu’elle a des choses à me dire aussi. Je la regarde se lever. Certes, je ne veux pas lui en dire plus mais on peut parler d’autre chose. On peut parler de Nate, de sa blessure, des nouvelles rencontrent qu’elle a pu faire, que j’ai pu faire. Il faut que je lui dise que j’ai retrouvé Cassandra ma nourrisse parce qu’il me semble qu’elle n’est même pas au courant de ça. Ou peut-être que si mais elle ne sait pas de quoi on parle. Je ne suis pas quelqu’un de bavard en général mais avec Persé je ne peux pas m’empêcher de lui raconter toute ma vie et de savoir toute sa vie. « Euh, oui, bien sûr, je lui en parlerais, je te le promets, mais … s’il te plait, reste. On peut… on peut parler d’autre chose comme … comme de ta blessure et de la mienne ? Comment tu t’es fait ça ? Je suis sûr que tu ne m’en as pas parlé. » Je veux qu’elle reste. Je ne sais pas si elle se rend compte à qu’elle point j’ai besoin d’elle mais moi je viens de m’en rendre compte, maintenant que je la revois.

Je me rends compte surtout que je vais devoir faire en sorte de voir les deux sans que ça pète. Et je souhaite de tout cœur qu’un jour, je n’aurais pas à choisir entre les deux. Mais je pense également que je suis en train de demander la même chose à Persé. Je lui demande clairement de choisir entre moi et son travail et égoïstement, je veux qu’elle me choisisse sans penser à ce qu’elle veut, ce qu’elle préfère, que je passe avant son travail. Je veux qu’elle se rebelle juste pour moi, juste pour que je puisse fréquenter Aidan tranquillement. Je sais qu’elle n’aime vraiment pas les Nocturnes et me voilà proche de l’un d’eux. Je sais que je la mets dans une position délicate mais je me dis que la prise de position est facile, que je ne lui pose pas un ultimatum. Je suis vraiment une horrible personne. Pourquoi est-ce qu’il a fallu que ça m’arrive à moi ? Je ne dis pas que l’arrivée d’Aidan est une mauvaise chose, au contraire, j’adore vraiment Aidan et je suis persuadé qu’il peut m’apporte beaucoup dans ma vie mais sa nature complique les choses. Non ! Le contexte dans lequel on vie complique les choses ! « S’il te plait … j’ai besoin de toi. » Lui dis-je en la regardant de façon désespérer, en la suppliant du regard. Encore une fois, je lui demande de faire un truc rien que pour moi alors que ça la gêne probablement.

Elle avait tellement peur pour lui. Peur que ses convictions ne l'amènent à une situation fatale. Peur que son dévouement pour cet étranger ne l'envoie en prison. Elle était même incapable d'espérer qu'il soit gravement attaqué par une Aberration même en imaginant que ça puisse le convaincre de son erreur. Parfois, dans la colère, elle le souhaitait à certaines personnes. En réalité, Perséphone ne le souhaitait à quiconque. Que ces individus profitent de la chance qu'ils avaient et pourvu qu'elle dure encore longtemps. Vis-à-vis de Zach, même l'énervement et l'ego blessé n'incitaient pas à cette pensée. Le protéger représentait son serment envers lui, qu'elle avait fait à ses parents. Même contre lui-même. Au fond, elle savait ce qu'elle devait faire : évaluer ce qui engendrait le moindre risque pour lui. Résultat qui ne plairait pas à Zach.

Par contre, l'ego ne voulait pas rester se prendre plus de coups. Il avait préféré l'ignorer pendant des mois pour lui marteler ensuite que sa loyauté allait à un inconnu. Qu'elle passerait toujours après ce type. Ou comment remplir une blessure de sel. Pourquoi s'éterniserait-elle ? Les crêpes, non, l'envie de les partager était vite passée. Elle était venue chercher des explications sur son comportement, et les avait eues. Il avait décidé de la renier pour faciliter sa nouvelle relation. Il avait choisi. C'était ce qu'elle se répétait lorsqu'il lui demanda de rester. Debout, le sac sur l'épaule, elle gardait un visage fermé et lui adressait un regard réprobateur qui signifiait : « C'est trop tard, tu as déjà fait ton choix. ». Malgré toute la bienveillance qu'elle avait à son encontre, l'agent jugeait que partir lui donnerait une bonne leçon. Il ne pouvait pas l'ignorer, l'éviter, se plaindre de la rencontrer et lui demander ensuite de passer du temps avec lui. Encore moins espérer qu'elle accepte. Qu'était-elle censée comprendre ? Sa présence n'était acceptée que s'il était trop tard pour l'esquiver ? Il fallait qu'il assume ses choix jusqu'au bout, et pas hésiter parce que la personne le confrontait.

« Non, puisque tu m'ignorais... »

Son énervement était remonté à la surface. Elle conservait néanmoins un calme apparent. Elle ne haussa pas la voix. Elle n'avait cela dit jamais été aussi énervée contre Zach. Et elle ne savait même pas comment faire... Car quand il la supplia, elle craqua. En réalité, ça la rassurait de voir qu'il ne pouvait pas tirer un trait sur elle aussi facilement. Elle retrouva le garçon en détresse qu'elle avait soutenu par le passé. Ce garçon perdu et tiraillé entre sentiments et volontés contradictoires. C'était tellement plus compliqué cette fois. Son ressentiment ne s'évaporait pas pour autant, ce qu'elle exprima.

« Tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas m'envoyer balader sans un mot puis faire comme si rien ne s'était passé. Tu ne peux pas me dire que je suis moins importante qu'un vampire que tu viens de rencontrer et croire que je vais rester gentiment à discuter comme avant. Et si je n'étais pas venue ? Tu m'aurais appelée ? Tu serais venu me voir ? »

Elle comprenait qu'il puisse s'attacher à un vampire, le problème c'était qu'à cause de ça il s'aveuglait. Elle ne pouvait pas faire confiance à quelqu'un de fondamentalement incontrôlable et violent. Zach ne le devrait pas non plus. Personne de sensé ne le devrait. Il pensait qu'elle ne fermerait pas les yeux pour lui, et c'était exact. Inutile de nier plus l'évidence, elle ne faisait pas d'exception. Surtout, elle ne laisserait pas son filleul en danger pour garder sa place auprès de lui. Elle devrait partir, et c'était cette intention qui transparaissait dans son attitude. Cependant, elle ne pouvait pas le quitter alors qu'il se trouvait dans cet état. Elle sentait qu'elle avait besoin aussi d'entendre ses prochains mots comme elle avait eu besoin d'entendre son désir qu'elle reste.

« Sois honnête avec moi comme avec toi-même. Si je reste, ce n'est pas uniquement pour aujourd'hui. Si tu veux qu'on parle, ce n'est pas uniquement aujourd'hui. Tu ne peux pas faire ça pour me tourner le dos demain. Je ne t'abandonne pas, jamais. Mais je ne peux pas être présente pour toi si tu ne le veux pas.  C'est toi qui décide. »

Persé à raison. Je ne pas lui dire blanc aujourd’hui et dire noir demain. Je dois prendre une décision maintenant. Qu’elle reste pour toujours ou qu’elle s’en aille à jamais. J’imagine rapidement ce que chaque choix peut donner pendant qu’elle me réprimande comme si je n’avais que six ans et que j’ai volé le jouet de mon frère. Si elle s’en va pour toujours, je perds le dernier membre de ma famille. Même si mes parents et le plus jeune de mes frères ainés sont toujours vivant, je n’ai jamais été aussi proche d’eux comme je le suis avec Persé. Et personne, pas même Aidan peut remplacer le lien que j’ai avec ma marraine, qui m’a toujours soutenu et qui me connait depuis que je suis né. En soi, Aidan n’est qu’un inconnu, Persé est toute ma vie. Je sais que choisir Aidan est un choix complètement irrationnel et c’est que je pense de notre lien. J’imagine une vie sans Persé, qu’avec Aidan, et je me sentir seul et en manque de ma marraine. Parce que Persé ne m’a pas seulement soutenu ou me faire sentir moins seul, mais elle me fait rire aussi et je l’admire tellement même si elle devenu quelque chose que je ne voudrais jamais être. Persé est forte et courageuse, j’ai toujours voulu lui ressembler mais je pense qu’il va falloir que j’achète la force et le courage.

Ma vie avec Persé serait tellement bien mieux, même si ça compliquerait beaucoup de chose. Je préfère prendre ce risque et de ne pas la perdre. Je suis sûr qu’on est capable d’affronter nos problèmes futurs. Et peut-être que l’un de nous deux arrivera à convaincre l’autre de ces ambitions. Sachant qu’on est têtu tous les deux, on en a pour un moment. « Tu as raison, Persé, totalement. Tu ne peux pas être moins importante qu’un inconnu, moins importe qu’un mec qui n’est pas de ma famille. Même s’il est mon opposé. »

Le mieux est qu’Aidan passe le rituel. Peut-être que ça ferra partir notre lien d’opposé, mais ça, ce n’est pas plus mal, parce que j’en connais un qui pourrait en être jaloux. « J’ai toujours eu besoin de toi, et j’aurais toujours besoin de toi. » Et parce que je suis un mec très sensible, surtout lorsque sa touche la famille, je me mets à verser des larmes silencieusement. « Tu es tout ce qu’il me reste. Et c’est complètement débile de penser que tu passes après lui alors que tu es ma famille. J’ai vraiment cet impression qu’il pourrait être comme un jumeau pour moi, mais je le connais à peine. Certes, ça me ferrait du mal s’il lui arrivait quelque chose, s’il se retrouvait enfermer et loin de moi mais il n’empêche qu’il n’y a pas plus tard qu’il y a un mois, je ne le connaissais pas et on se voyait souvent autour du tarte et un café. Et je ne veux pas perdre ces moments-là, juste parce que j’ai un opposé. Ces des moments que je n’aurais pas avec lui et que je ne veux pas avec lui. Et avec nous, la famille est importante. J’ai fait une énorme connerie en te mettant de côté mais je voulais tellement éviter cette conversation, éviter ces larmes qui coulent sans cesse. Je suis sincèrement désolé Persé, vraiment. J’aurais dû te faire plus confiance, je suis tellement bête et aveugler par ce changement. Je déteste tellement le changement et putain, du changement qu’est-ce que j’en ai eu ! Tu veux vraiment partir ? Parce que pour toi, je suis prêt à tout faire pour le convaincre de passer le Rituel. » A part si quelqu’un me dit qu’il y a un pourcentage de risque de mort. Et je suis le premier à dire qu’il faut être fier de qui on est, mais là, avoir un vampire comme opposé, ça n’arrange clairement pas ma situation avec le dernier membre de famille. Opposé ou pas, je choisis ma famille. Je reviens sur ce que j’ai dit, je change d’avis, je ne veux plus qu’il soit une priorité dans ma vie, je préfère largement Persé, en plus, elle je l’aime. Je tiens à Aidan, mais sans plus. Ouais s’il meurt, il parait que je ne serais pas bien, mais je suis prêt à croire que ça sera la même chose si je perds Persé. « Je t’aime Perséphone. Pas lui. » Et Nature sait à quel point je ne dis jamais ces mots, encore moins en l’air. Mettre mes sentiments à nus, c’est comme pleurer, je me sens vulnérable. Et ça va à l’encontre de ce que je veux être, être comme Persé. Elle n’est pas froide non plus, mais comme moi, elle n’aime pas être vulnérable. J’aime me sentir fort à ses côtés pour qu’elle soit fier de moi. C’est pas en chialant qu’elle me trouvera fort et courageux. Je suis sûr que je ne l’ai jamais vu pleurer. Ou alors mon inconscient l’idéalise et a préféré effacer ces moments. « Je ne veux pas te perdre à cause d’un inconnu. Même si en sa présence, je me sens complet et apaisé. Et tu es mon tout, tu m’aide a resté fort et à survivre, je suis sûr que lui n’y arrivera pas. » Puisqu’il ne me connait pas autant qu'elle. « J’ai besoin de toi. » Lui murmurai-je la voix tremblante.

Une pression se relâcha en elle. Comme si son organisme même avait été en expectative, ses sentiments s'étant concrétisés physiquement. Le « Tu as raison » commença à la rassurer – et pas parce qu'elle adorait avoir raison – mais c'était la suite qui confirmait que cette discussion ne sonnait pas la fin de vingt-deux ans d'affection qui fut un véritablement soulagement. Lorsqu'il lui répéta qu'il avait besoin d'elle et que ses joues s'humidifièrent, Perséphone savait que, quoi qu'il ajoute, elle devait rester. Au fur et à mesure que Zach se confiait, son expression à elle se faisait moins sévère. Ses paroles lui firent comprendre dans quel état de détresse il se trouvait, de la panique qui l'avait amené à se comporter comme il l'avait fait. Au déchirement aussi de s'isoler avec sa famille à cause de leurs conflits. Elle savait que la relation de son filleul avec ses parents et son frère était compliquée, voire houleuse, mais la manière dont il parlait lui faisait réaliser le gouffre entre eux. Son sentiment d'isolement. Elle pensa à Anthea, avec qui la distance s'était aussi creusée au fil des années pour les mêmes raisons, avec qui elle n'arrivait plus à entretenir quoi que ce soit sinon des dissensions. C'était effarant comme avec l'une tout se brisait alors qu'avec Zach le lien persistait. Elle commençait à comprendre que l'affolement l'avait paumé, qu'il ne savait pas quoi faire en plus de l'euphorie de l'opposition qui l'avait influencé. Ça restait difficile à encaisser, mais ça devenait compréhensible. A son âge, elle s'était mise dans une situation très problématique et elle avait, à ses yeux, beaucoup moins d'explications.

Du changement, oui, il en avait eu. Tellement. Trop. Et bien trop douloureux. Il aurait eu le droit de péter les plombs. Le deuil avait été difficile, mais Zach avait retrouvé le moyen de poursuivre sa vie, encaissant tous les chocs de façon si saine que... Qu'elle en attendait probablement trop de lui. Elle en avait oublié qu'il ne pouvait pas toujours montrer le plus grand recul et poser les choix les plus raisonnables. Elle déposa son sac sur la chaise qu'elle avait quittée, et lui répondit :

« Je ne pars pas, je reste avec toi. »

Elle s'approcha de lui, prit son visage entre ses mains et, d'un pouce, essuya les larmes qui coulaient silencieusement sur le visage du jeune Elfe. A cet instant, il prononça des mots forts, car elle savait qu'ils étaient rares dans sa bouche. Elle lui adressa un sourire tendre.

« Je t'aime aussi, Zach, j'espère que tu le sais. »

Que tu n'en as jamais douté. Peu importait les colères, les disputes, les affrontements, elle l'aimait, comme elle aimait Anthea. La Spectre prit son filleul dans ses bras. Ses mots suivants lui firent resserrer ses bras autour de lui. Oui, en quelque sorte, Zach avait remplacé l'enfant qu'elle avait perdu. Qu'il affirme qu'elle l'aidait à vivre représentait la plus belle chose qu'il puisse lui dire, à elle qui avait longtemps été tourmentée par l'idée d'avoir tué sa chair. Qui continuait encore parfois à ressentir cette culpabilité. Elle le libéra de leur étreinte avant de lui répondre posément :

« Je comprends qu'il te soit indispensable, on ne choisit pas le lien d'opposé. Il est là et vous devez faire avec. Il ne doit juste pas te couper de tes autres liens. »

Elle se rassit. Plus calme, elle espérait réconforter Zach.

« Comme je te l'ai dit, je ne t'abandonnerai jamais. Je continuerai de te protéger quoi qu'il arrive. Pour parler, ça, il faut être deux. Alors maintenant que tu as décidé, je suis installée et je t'écoute. Raconte-moi comment tu t'es blessé et tout ce que tu veux me dire sur les dernières semaines, et je t'expliquerai ce qui est arrivé à ma jambe. »

Je suis soulagé lorsque que Perséphone m’annonce qu’elle reste avec moi. Avec cette discussion, j’ai vraiment cru que j’allais la perdre. Déjà que je m’étais éloigné d’elle juste parce que nous n’avons pas les mêmes idées et que ça fait mal de rester seul. Mais, si je dois l’être à vie et m’en vouloir, je ne pense pas que je m’en remettrais. J’ai besoin de garder avec moi un membre de ma famille et autant gardé quelqu’un qui veut encore de moi.

Je ne sais pas pourquoi Perséphone déteste autant les Nocturnes mais la raison pourrait me faire comprendre le monde dans lequel je vis. Dans lequel Perséphone n’est pas forcément la méchante. Aidan est adorable, ça oui, j’en suis sûr. Mais il tient a resté vampire alors qu’il sait qu’il est dangereux, qu’à tout moment, il peut me blesser accidentellement. Et je le connais à peine. Comment le choisir lui et pas Persé ? Tout ça parce qu’il est un Nocturne et persécuté. Mais il est dangereux alors que Perséphone m’offre de la sécurité. J’ai rien contre les Nocturnes personnellement, mis à part, qu’ils sont dangereux mais il faudrait vraiment qu’ils passent le rituel, ça arrangerait tout le monde. En plus, c’est super égoïste de vouloir rester ce qu’on est et de continuer à blesser et tuer autour de soi. Il va falloir que j’ai une discussion avec Aidan, lui dire que je ne le fréquenterais plus s’il ne passe pas le rituel.

J’aurai dû le savoir qu’elle m’aime, que j’aurais pu lui raconter cette histoire plus tôt sans qu’elle m’en veuille de l’avoir mise de côté. Elle m’aurait simplement demandé de persuader Aidan de passer le rituel et il n’y aurait pas eu de crise de l’arme. C’est vrai que je ne veux pas qu’elle le traque, je veux qu’il se rende de lui-même parce que c’est la chose à faire. Je veux que mon opposé soit quelqu’un de compréhensible et d’altruiste. Pourquoi est-ce qu’il reste un vampire ? Parce qu’il peut protéger les siens ? Il n’a qu’à être un Spectre. Et il pourra rester jeune et stérile, pas de changement à ce niveau-là, génial non ? « J’aurais dû le savoir oui. » Lui répondis-je après avoir reniflé. Mes larmes ne coulent plus, grâce à elle. « Je suis tellement désolé d’avoir douté de toi. Je n’aurais pas dû. » Juste parce qu’elle hait les Nocturnes, j’ai perdu confiance en elle, alors que je sais qu’elle m’aime et qu’elle ne veut pas me faire mal. Si je lui demande de le laisser tranquille, pour moi, je suis sûr qu’elle peut le faire. Qu’un autre s’en occupe, c’est plus mon problème, parce qu’il n’aura aucune information venant de ma part. Alors qu’avec Perséphone … je suis capable de le balancer, c’est de ça aussi que j’avais peur. Je ne veux pas savoir Aidan enfermé, je veux le savoir libre et inoffensif.

Mes autres liens ? Je n’ai que Perséphone. Et Cassie. Mais Cassie n’a pas l’air d’être contre les Nocturnes, c’est plus facile de la fréquenter, je peux lui parler d’Aidan sans qu’elle pense tout de suite que je suis en danger. Même si je comprends tout à fait que Persé s’inquiète. Je suis sa famille et elle sait mieux que moi à quel point je peux être en danger en le fréquentant. Mais il est mon opposé, impossible d’arrêter de le voir. Je me rassis aussi après l’avoir vu faire. J’ouvre enfin la boite contenant les crêpes et j’en prends une pour la manger nature. J’ai besoin d’une collation. Maintenant je peux lui raconter tout ce qu’il met arriver. « Alors, je l’ai rencontré par hasard … » Et à partir de maintenant, ce fut pour moi impossible de m’arrêter de parler calmement tout en manger ma crêpe. Je lui raconte tout en omettant les prénoms. Je lui raconte que j’ai rencontré Aidan au hasard, alors que je rentrais tard des cours, qu’il faisait nuit et c’est comme ça que je me suis fait attaquer par un vampire mais qu’Aidan est venu me secourir. Je lui raconte le retrouvaille avec Cassandra, ma baby-sitter de l’époque et de ce qu’elle est devenue. Je lui raconte l’anniversaire du meilleur ami à Aidan et que c’est parti en sucette parce que des vampires sont intervenues. Et enfin, je fini avec l’attaquant du louveteau et qu’heureusement, un agent du C.A.A. était sur place. D’ailleurs, je suis bien content qu’il y en a plus dehors. Maintenant, je peux sortir tard de la bibliothèque sans être attaqué. « A toi ? Alors, que t’est-il arrivé ? »

Les non-dits n'étaient plus. La situation éclaircie et les cœurs délestés permettaient une transition vers un tête-à-tête plus apaisé. Perséphone sourit lorsque Zach se servit dans la boîte qui transportait les mets d'Ethel. Les habitudes étaient aussi coriaces que les crêpes étaient savoureuses. Elles apportaient une touche de légèreté, rappel des goûters qu'ils avaient partagés. A la différence que ces derniers étaient généralement remplis de rires plutôt que de larmes. Ils faisaient partie des moments rien qu'à eux, des moments où Zach avait toute la place qu'il désirait et dont il avait besoin : il n'était alors plus sous l'ombre de son frère. A présent son jumeau n'était plus. Et elle avait été soulagée de le voir se relever aussi solidement, parce qu'elle ne savait pas comment l'aider à surmonter sa perte. Le voir souffrir d'une telle détresse lui faisait comprendre qu'elle ne le connaissait pas si bien. Tout du moins ses mécanismes. Peut-être parlait-elle trop de la force qu'on se devait de développer, de la nécessité d'avancer constamment... S'était-il perdu dans ce lien d'opposé parce qu'il faisait oublier celui de Zech ? Avait-il trouvé la solution pour combler la brèche ? Depuis que les larmes avaient salé les joues de son filleul, Perséphone tentait de comprendre son comportement. Il avait fallu cette panique pour qu'elle arrive à mettre son ego de côté, elle qui pouvait se montrer imperméable aux perceptions d'autrui.

Elle mit cette théorie de côté afin d'écouter tout ce qu'il lui avait caché depuis des mois. A noter que les défendre ne protégeait pas des attaques d'Aberrations, comme le prouvait les histoires de Zach. Comme il le disait toujours, il avait une poisse terrible. Dans ces cas-ci, la Spectre considérait surtout que c'était des risques inévitables tant qu'il y en aurait en liberté. Ce qui l'énervait le plus, c'est qu'elle aurait voulu pouvoir le protéger tout comme être simplement présente. Ces incidents ne faisaient que renforcer sa détermination dans la voie qu'elle avait choisie. Tant que vampires et lycans pourraient causer des victimes, elle ne vivrait pas tranquille. Elle prit finalement une pâtisserie à son tour, rassurée que le récit de l'Elfe n'apporte pas plus de mauvaises nouvelles pour l'avenir.

« Comment ne peux-tu pas encore comprendre ce qu'on fait, tes parents et moi... » Une remarque qu'elle ne s'embêta pas à taire, posée avec effarement. On lui reprochait bien trop son travail pour qu'elle se refuse à pointer l'évidence. « Et pourquoi je veux que ton opposé passe le Rituel. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer. Tu sais que, pour certains vampires, l'opposition provoque une obsession du sang de l'opposé, voire une dépendance pour ceux qui y goûtent ? Je ne te dis pas ça pour te faire peur, mais pour que tu comprennes que la condition de vampire n'est pas qu'une question de volonté. Il y a un instinct bien plus fort, qui entraîne des incidents même de la part des plus vigilants. Les personnes qui t'ont attaqué sont peut-être des gens qui font très attention, mais il suffit de peu pour perdre le contrôle. »

Les conséquences étaient désastreuses, et le problème supplémentaire, qui dénotait d'une morale douteuse à son sens, s'avérait que la plupart n'assumait rien. Ils s'étonnaient, se vexaient, s'énervaient qu'on ait peur d'eux, qu'on ne leur fasse pas confiance et qu'on veuille mettre un terme à ces drames à répétition. Alors qu'une solution s'offrait à eux. Où se cachait la malveillance à enlever cet instinct destructeur ?

« Quant à moi, c'est une longue histoire. » Perséphone releva une manche et tendit son bras vers l'étudiant afin qu'il voit les cicatrices zébrant son poignet, témoins de la soif de vampires. « Moi aussi, j'ai été attaquée par des buveurs de sang. Tu ne vois qu'une partie de leurs traces. Ils m'ont utilisée comme une réserve et, après épuisement, m'ont jetée. Je suis restée à l'hôpital quelques semaines mais mon genou refuse de guérir. Son état s'améliore, mais comme t'as vu, il fait encore des siennes. Ta blessure cicatrise bien ? Ta jambe va s'en remettre complètement ? »

Si elle ne lui racontait pas tout, elle ne comptait pas minimiser ce qu'il s'était passé. Il fallait qu'il ouvre les yeux. Pour qu'il ne la voit plus comme ennemie, mais une alliée. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était faire disparaître ces attaques. Jusque là, on en parlait presque comme de simples désagréments de la vie de tous les jours. Ce n'était pas normal.