Andrew Wyatts - Between anger and fury

Tu es si loin de toi-même... Je l'ai toujours su, je ne te l'ai jamais dit et pourtant c'est ce qui se dégage le plus de toi. La personnalité que tu t'es créée inconsciemment ne t'appartient pas, elle appartient à ton père, à moi, à tes frères, à ta colère et ta rancœur mais en aucun cas elle ne correspond à qui tu es au fond. Il suffit de te voir chanter pour qu'on comprenne que ta violence, ta brutalité et ton apparente insensibilité sont une façade qui trahit ta vraie sensibilité. La sensibilité d'un homme qui aime profondément ceux qui l'entourent et qui est dans l'incapacité de l'exprimer autrement que par la froideur et la dureté. Tu hais la douceur de ton caractère, que tu prends pour de la faiblesse, tu la caches, la ravales derrière une brutalité de mots et d'actions. Les gens pensent que tu es simple d'esprit parfois, une brute, une Bête, mais moi je sais que c'est simplement que ton intelligence se situe à un autre endroit, à l'endroit du cœur et de l'âme. Il suffit de voir la manière dont tu traites les animaux. Tu as simplement du mal à comprendre les règles sociales qui dirigent le monde, et c'est pour cela que tu n'auras jamais de promotion. Tu n'as pas un meneur d'hommes, tu n'as pas vraiment l'esprit d'initiative. Tu as si peu confiance en ton intelligence que tu te considères incapable de prendre les grandes décisions de ta propre vie. Alors tu laisses les autres décider pour toi, ton père, tes frères et moi avant. Ta fidélité a quelque chose de sublime et de désespéré, elle te place à un endroit au-delà de la honte, au-delà des convenances et c'est une des choses qui m'avaient fait t'aimer. Ta capacité à te soumettre au danger sans le moindre regard pour ta propre sécurité. Beaucoup y voient de la bêtise et de la servilité. J'y voyais une magnifique noblesse d'âme. Tu connais ta place, celle du second, du pion, et du l'acceptes et l'embrasses totalement, sans embarras ni remords. C'est ta manière de dire que tu aimes, ta manière de prendre une place dans le monde. Les épreuves auxquelles la vie t'a confronté n'a fait qu'accentuer les tendances de ton caractère, mais il y a une fissure dans ta carapace qui grandit chaque jour un peu plus, une fissure qui pourrait te faire tout consumer : ta fille. C'est le seul reliquat de notre foyer brisé. Elle voit clair en toi et elle te déteste pour les mensonges que tu profères. Pourtant tu l'aimes chaque jour un peu plus, elle me ressemble terriblement et la voir est une torture pour toi, mais tu mourrais pour elle, là où ironiquement elle voudrait simplement te voir vivre.

Tu ne m'as jamais vraiment parlé de ton enfance. Tu as toujours été assez taiseux sur ce qui concerne ta famille. Tout ce que je sais de toi avant notre rencontre, je l'ai appris de discussions avec tes frères, ta sœur et tes parents. Je ne t'ai jamais vraiment posé de questions non plus, notre relation ne fonctionnait pas de cette manière. C'était une relation plus corporelle que verbale : on se dévorait du regard, on se désirait avec passion mais on parlait peu. Je n'aurais jamais pensé tomber amoureuse de quelqu'un comme toi, quelqu'un d'aussi peu bavard, moi qui étais très sociable, mais, au-delà de l'attraction physique entre nous, j'ai senti que tu avais en toi tout ce dont j'avais besoin chez un homme. De la force, une certaine violence, des blessures avec lesquels jouer, une sensibilité mal cachée. Tu serais mon outil parfait, ma plus belle réussite. Ton père avait déjà bien commencé le travail en brisant ton indépendance, rendant nécessaire la présence de quelqu'un à tes côtés qui te dise quoi faire. Même à ton âge, tu restes soumis à ton paternel et même à tes frères. J'y suis pour quelque chose car je t'ai toujours fait comprendre que tu n'es pas de ceux qui pensent, mais de ceux qui font. Pas de ceux qui choisissent, mais de ceux qui exécutent.
Mais quelque chose s'est produit que je n'avais pas prévu au moment de notre rencontre en 1996. Je suis tombée amoureuse de moi et je ne t'ai pas laissé le choix. Nous nous sommes mariés très rapidement. Je suis devenue Claire Wyatts et en 1999 naissait notre première enfant, une fille nommée Hope. C'est moi qui ai choisi son nom car j'ai eu l'impression à sa naissance que notre vie allait changer, que la haine et la colère qui nous avait fait nous rencontrer pouvaient laisser la place à l'amour et à la construction d'un foyer sain. Mais la haine des Aberrations était trop profondément ancrée dans ta famille comme dans la mienne après des années de lutte contre ses erreurs haïssables. Le combat est revenu bien vite et il a écrasé sur son passage l'espoir. Tu faisais le sale boulot de ton père, et le mien aussi quand j'en avais besoin. J'étais avocate et avoir un chien de garde intimidant sous la main pouvait s'avérer utile dans certains cas. Mon salaire et ce que te donnait ton père te gardait hors du besoin, mais tu étais incapable de te gérer seul.
Nous étions de ceux qui avions connaissance de l'existence des Aberrations et qui avons lutté contre la création des "Anges", autre salissure supposée nous sauver. Tu étais le jouet de cette lutte secrète, même si au fond tu n'en comprenais pas vraiment les tenants et les aboutissants. Parfois, ta simplicité me désespérait et je te frappais. Mais tu étais habitué à la violence, elle faisait partie de toi, et comme un chien docile, tu acceptais la punition de tes maîtres que tu pensais toujours mériter.
J'ai été surprise de tomber enceinte une deuxième fois en 2002. Ce n'était pas prévu, mais notre passion physique était toujours présente alors cela devait arriver. Clarence, notre fils, est né au milieu de l'hiver et j'ai eu la sensation qu'avec lui, contrairement à sa sœur, je pourrais arriver à quelque chose. Tu l'as beaucoup plus aimé que ta fille et moi aussi, je l'avoue. C'était un enfant simple alors que Hope était colérique, capricieuse et effrontée. Elle plaisait beaucoup à son grand-père et ses oncles, mais elle épuisait notre patience, et plus d'une fois tu l'as frappée.
Tu ne trouvais toujours pas de place propre, tu ne cherchais même plus. Tu te contentais de faire ce qu'on te disait de faire et d'élever sommairement tes enfants. Parfois, je t'observais fixer le vide pendant de longues minutes et je m'inquiétais de ta santé mentale. Je me demandais si je n'avais pas épousé un attardé. Et puis un soir, je t'ai entendu chanter une berceuse à Clarence et pour la première fois depuis notre rencontre, tu m'as profondément émue et j'ai pleuré en t'écoutant. Je sentais tout l'amour que tu avais pour cet enfant et pour moi par extension. Lorsque tu t'es rendu compte que je t'observais, tu as rougi et tu t'es excusé. J'ai fait plus attention à toi et je me suis rendu compte que, souvent, tu t'isolais dans le grenier avec une vieille guitare et tu chantais et composais de la musique. Cela ne correspondait pas du tout à l'image que j'avais de toi jusqu'à présent, et j'ai commencé à réaliser quel homme tu étais réellement.
Tout a changé en 2012. Eve, ta jeune sœur fut tuée par un Lycan. Ta famille, déjà haineuse des Aberrations, en entrée dans une vendetta terrible. Ton père a été de la première génération des Rédempteurs humains. Tu lui avais proposé de l'accompagner, mais il t'avait dit d'attendre. Ta famille fut irrémédiablement brisée et toi également. J'ai toujours su qu'Eve avait une place spéciale dans ton cœur, mais j'ai sous-estimé la profondeur de ton chagrin. En vérité, je ne voyais qu'une chose. J'oubliais mes enfants, je t'oubliais toi, je travaillais avec les Rédempteurs pour trouver une solution au problème de Réversa. Je me suis faite beaucoup d'ennemis et au début de l'année 2013, l'un d'entre eux m'a eue. Un vampire m'a transformée, sauvagement, me laissant à demi-morte et assoiffée, seule. Mon premier réflexe fut de rentrer stupidement chez nous. Tu n'étais pas là. C'est Clarence qui est venu à ma rencontre et en le voyant, je n'ai pas pu résister à la soif. J'ai saigné à mort mon fils. Et quand tu es rentré, tu m'as trouvée hurlante dans l'entrée, le corps de mon fils entre les bras. Hope était prostrée dans les escaliers, incapables de dire quoique ce soit. Ce soir-là, tu as fait preuve de la noblesse d'âme que je reconnaissais enfin en toi. Tu as appelé tes frères pour qu'ils s'occupent de Hope et du corps de Clarence, tu m'as amenée au grenier et tu m'as demandé ce que je voulais faire. Je pouvais être retransformée en humaine, je le savais. Mais j'étais brisée par mon crime, je me sentais sale, d'une souillure irréparable. Je t'ai demandé de faire pour moi le plus bel acte d'amour possible. Non, je ne te l'ai pas demandé, je te l'ai ordonné. J'ai complètement occulté la souffrance que cela te causerait, je ne pensais qu'à mon fils et à mon honneur sali. Tu as pris un couteau et tu m'as tranché la gorge. Je suis morte de ta main, selon ma propre volonté.
Un mois après, tu devenais Rédempteur. Je continuais à t'observer, à chuchoter dans tes cauchemars malgré la mort.
Ta modification a continué à faire de toi la bête que je sais au fond que tu n'es pas, mais c'était trop tard. Tout le monde connaissait ton histoire, tout le monde savait ce que tu avais fait. Tout le monde avait peur de toi, te méprisait, mais t'admirait à un endroit de terreur et d'effroi. Tu avais repoussé les limites de l'humanité et le fait que tu tiennes toujours debout et que tu te battes encore provoquait l'incompréhension et en tout premier lieu celle de ta fille. A ma mort, le frêle lien que vous partagiez c'est brisé. Elle t'en veut, te déteste et elle est plus proche de ton frère Isaak que de toi. Et pourtant tu l'aimes, tu ne la comprends pas, tu ne sais pas quoi lui dire, quelle aide lui apporter, mais tu l'aimes. Elle te rattache à moi, à ton passé, à la vie que nous aurions pu vivre ensemble, loin de la guerre et de la haine. Ce que tu voulais au fond et que je n'ai jamais accepté de t'offrir.
La Révélation n'a pas changé grand chose pour toi, elle n'a fait que rendre ton combat publique. Mais tu ne t'en souciais guère. Ce fut la période de la Terreur qui fut la plus active pour toi, tes supérieurs les plus haineux abusèrent de ton don et t'exténuèrent, ton père en tête. Mais tu te laissais faire, toujours plus servile à mesure que la Bête détruisait ton humanité. Clifford a eu l'intelligence de prendre de la distance vis-à-vis des Purificateurs les plus extrêmes. Son esprit de stratège lui soufflait que le vent tournerait et il ne tenait pas à ce que votre famille perde le pouvoir et la place qu'elle avait. On t'a donc relégué au placard pendant quelques temps, ne te donnant que des missions de routine et de surveillance. Clifford s'est imposé dès la mise en place du conseil du Renouveau auprès de l'Imperium et tu recommences à avoir de l'importance pour lui. Il va sans doute avoir besoin de sa Bête pour assouvir ses ambitions.
J'ignore à peu près tout de tes propres aspirations. Mais je sens ces derniers temps que quelque chose change en toi, ta carapace se fissure. Je ne sais pas vraiment pourquoi, ni ce qui va se passer, mais je commence à comprendre combien tu souffres, combien chaque respiration te brûle.

Quand je repense à notre vie, à ta vie, je voudrais te dire tellement de choses. Peut-être que la mort m'adoucit mais...
Je suis désolé, mon amour. Je t'aime.