Il n’est pas difficile de se transformer, cela dépend du désir qu’on a d’y parvenir | Judd

Pourquoi moi ? Depuis qu'on m'a assigné cette mission, je ne cesse de me poser cette question. Je n'arrive pas à me dire que les choses sont ainsi, qu'elle est partit et que je ne la reverrais plus. Que je ne pourrais plus tambouriner à sa porte lorsque ça n'ira pas. Qu'elle ne pourra plus me soutenir lorsque je faiblirais, lorsque la colère sera trop grande pour être contenue. C'est elle qui m'a poussé dans la voie du spectre et aujourd'hui, je me sens seul, démuni, comme si une partie de la personne que j'étais devenu venait de s'envoler, pour toujours et à jamais. Elle faisait partie de ma famille et désormais, c'est moi qui vais jouer le rôle du mentor. Celui qui guide. En serais-je capable alors que je tiens à peine sur mes pieds en ce moment ? En serais-je capable alors que la moindre idée de me retrouve face à face avec elle me rend encore plus nerveux ? Voir son visage, pouvoir le détailler, mais savoir que ce n'est pas elle... Je soupire rien qu'à cette idée et bien évidemment je traîne les pieds. L'argument annoncé, c'est que comme Persé a été ma mentor, c'est à mon tour de le faire pour elle. Je dois être celui qui prend les rênes, qui fait le lien entre elle et Persé. Comme si j'en avais envie. Pourquoi diable à t-elle choisi cette voie en plus ? Je me souviens du moment où j'ai débarqué chez elles, plus en colère que jamais, totalement hors de moi, prêt à exploser. Je me souviens de l'avoir fait trembler. Alors pourquoi choisir une voie qui va lui demander de s'affirmer ? Une voie qui va l'obliger à chasser, à éliminer en cas de besoin. Pas de pitié, pas de rancune, pas de je ne veux plus. Devenir spectre c'est pas comme se faire un tatouage, c'est une voie qu'on doit vouloir jusqu'au bout de ses orteils, le veut-elle réellement ? J'en sais foutre rien, mais je n'ai pas envie.

Pourquoi moi ? Je me dis que si je me répète ça en boucle, alors peut-être que tout passera. Mais les jours ont beau passer, rien ne s'arrange. On m'assène chaque jour les mêmes platitudes. On me force à aller de l'avant comme si rien d'autre ne comptait. Être spectre... oui mais pourquoi ? Persé est morte alors qu'elle était en chasse et maintenant, que me reste t-il ? Mon frère ne peut pas comprendre ma voie, il ne comprendra pas non plus que je ne veuille pas voir son visage à elle, que je ne veuille pas la prendre en charge. Pourquoi m'infliger ça ? Ils savent à quel point les femmes me rebutent, ils savent pourtant qu'il m'a fallut des années avant de surmonter ça avec Persé. Et maintenant, je dois le faire de nouveau avec elle. Je vais voir son visage, je vais me rappeler de nos souvenirs commun, pourtant, je saurais parfaitement que ce n'est pas elle. C'est comme tenté de faire un café du Guatemala sans grain du Guatemala. Oui, ce sera un café, mais non il ne sera pas du Guatemala. Je ne sais pas si je peux faire ça. Si je pourrais la regarder, la conseiller, lui permettre de devenir une spectre. Je ne sais pas, mais je n'ai pas le choix. On ne m'a pas donné le choix en vérité. On me l'a imposé, ce n'était même pas une demande, un service. C'était une obligation, un fil rouge. Je leur aurait bien fait bouffer leur fil rouge, mais qui suis-je pour refuser ? Je fais partie de ce foutu gouvernement. C'est mon devoir après tout, même si ces derniers temps, c'est la vengeance qui cri dans mes veines, c'est la vengeance qui veut émerger. Peut-être ai-je besoin de chasser, peut-être le ferais-je pour me calmer. Tellement de chose à faire et je me sens vide.

Pourquoi moi ? Je me retrouve devant le Ribcage, là où elle se trouve. Je me suis levé ce matin avec la boule au ventre depuis la première fois depuis longtemps. J'ai couru des kilomètres sans pouvoir me l'enlever. J'ai ouvert le Blue Moon avec un sourire plus factice qu'à l'ordinaire, sans pouvoir être plus convaincant que cela. Et là, j'attends devant une porte que je sais devoir pousser, mais je n'y arrive pas. Je ne veux pas la revoir, je ne veux pas me dire que ce visage n'est pas celui de ma meilleure amie, de ma seule amie. Parce que c'est la réalité. Avec mon frère, elle était l'unique personne à composer ma nouvelle famille et maintenant, je dois composer avec sa jumelle. Je prends une grande inspiration, expire tout ce que j'ai dans mes poumons et pousse cette foutue porte. C'est mon rôle après tout et pour lui rendre hommage, je peux au moins faire en sorte que sa sœur ne meurt pas bêtement parce que quelqu'un a foiré en route. J'avance dans la pièce, jette mon sac dans un coin, je suis déjà en tenu légère pour les entraînements. Je suis venu en courant jusqu'ici après tout. Mon regard se porte sur la blonde qui s'étire, au moins n'a-t-elle pas attendu comme une idiote. C'est déjà ça de gagner. Ma voix est grave, forte, puissante alors que j'ouvre la bouche. « Bonjour Ethel. » La dernière fois qu'elle m'a vu, c'était une voix énervée qu'elle avait trouvé. Aujourd'hui, bien que calme, c'est une voix glaciale qu'elle rencontre. « J'imagine qu'il n'y a pas forcément besoin de présentation, mais je vais m'en acquitter quand même. Judd Morrow, c'est moi qui serait ton instructeur durant la durée de ton apprentissage. As-tu des questions pour commencer ? » Du tact ? Il y a bien longtemps que je n'en ai plus, elle va devoir faire avec.

Surprise, surprise n'est-ce pas ? Je le vois dans ses yeux, dans son attitude alors que je l'interpelle. Je ne sais pas qui ce qui est le plus surprenant au fond, qu'on m'ait collé Ethel dans les pattes, ou qu'on est jugé que je puisse être un bon mentor. Au fond, tout le monde connaît mon caractère de con. Je ne suis pas de ceux qu'on fait plier. La pitié ? Je l'ai perdu en chemin. Quand aux restes n'en parlons pas. Je pousse tellement loin les gens dans leur retranchements qu'ils ne savent jamais comment gérer avec moi. Ce n'est pas pour les décourager, bien au contraire, c'est plutôt pour voir jusqu'où ils sont prêt à aller, pour la cause. Enfin cette cause qu'on avait avant. Honnêtement, je ne sais pas vraiment ce qui pourrait se passer maintenant. Un soupir s'échappe de mes lèvres alors qu'elle finit par reprendre vie et me saluer. Je me demande ce qu'elle s'est dit un instant... non, inutile de se demander quoi que ce soit, je peux voir dans ses yeux ce qu'elle s'est demandé en fait. Tellement semblable et pourtant si différente. La douleur dans mon cœur s'insinue entre nous. Est-ce que je pourrais m'y faire ? Je n'en suis pas certain. Persé était plus qu'une amie, elle était une sœur pour moi, l'unique personne a me comprendre mieux que je me comprends. Même mon frère ne peut pas me comprendre à ce point si fondamental. Est-ce que je lui en veux d'être morte ? Bien sûr que oui putain. On a pas idée de disparaître comme ça et rien qu'avec cette pensée, je me sens tellement mal que je pourrais pleurer.

Un regard vers elle et je lui demande si elle a des questions. Je dois bien admettre que je pourrais être plus aimable, que je pourrais être comme au Blue Moon, mais à quoi bon ? Ici, ce n'est pas des sourires qui sauveront nos culs. Ici, il faut allier les compétences et l'intelligence et c'est bien ça que je vais lui apprendre. « Effectivement, tu es moins forte qu'un homme et donc moins forte qu'une aberration, cela ter servira, mais quelques bases en self-défense ne t'apprendront pas à ne pas te faire tuer. Ce que je compte t'apprendre est hautement plus caler. Mon frère n'a pas réellement besoin de se battre, ce n'est pas un chasseur. Notre rôle est plus complexe et demande plus d'implication dans la maîtrise d'un art martial. » Je m'arrête un instant, je me fais l'effet d'un enfoiré à parler ainsi de mon frère et dieu sait à quel point je l'aime mon jumeau. Mais ce qu'il lui a appris ne va pas nous aider plus que ça. Le self-défense c'est bien quand on est une jeune femme qui se fait attaquer en pleine rue. « Nous sommes ici pour une seule chose. Faire de toi une chasseuse. Une guerrière qui va au devant du danger pour protéger le monde. Le self-défense était bon quand tu n'étais qu'une elfe lambda. Aujourd'hui c'est autre chose. Tu vas devoir devenir une combattante émérite. Il va falloir penser combat, manger combat, rêver combat. » Dur ? Non, ce n'est que la réalité, les aberrations sont bien plus que ce que nous sommes. Avoir juste de bonne base en ceci ou cela ne nous aidera pas.

« Par la suite, il va falloir allier ton esprit avec ton corps. Combattre c'est bien, mais penser en combattant c'est encore mieux. Ceux qui se contente de frapper ne vont pas bien loin. Il est nécessaire de réfléchir après chaque coup et de le faire intelligemment c'est ce qui peut faire la différence entre un type vivant ou un con mort. » Ceux qui n'utilisent pas leur cerveau ne servent à rien. Ce ne sont que des poids supplémentaires dans cette balance infernal de la vie. Je la regarde droit dans les yeux. « Nous sommes des spectres, nous sommes de ceux qui connaissent une vérité déjà bien ancré dans l'esprit de la populace mais que certains ont tendance à oublier : les aberrations ne sont que des animaux dictés par l'instinct de combat. Attaquer est leur but, pour se nourrir, transformer ou tuer peut importe. Mais ils sont une menace. Nous chassons pour une raison, nous luttons pour une raison, nous enfermons pour une raison. » D'aucuns feraient bien de s'en rappeler. La chasse n'est pas un jeu pour nous, mais une nécessité. « Chasser non pas pour chasser, mais pour libérer. » C'est ainsi que je le vois, comme un mantra, ou autre chose au fond, je ne sais pas trop comment l'expliquer. « On va donc commencer par assouplir ton corps, puis je vais t'apprendre quelques techniques, faciles au départ. Chaque entraînement sera plus intensif. Tu vas sentir ton corps te brûler, il te demandera peut-être grâce, tu pleureras peut-être chaque soir, mais ne t'attends pas à de la compassion. » Je n'en ai plus depuis très longtemps, ou alors je fais en sorte de ne plus en avoir.

Parfois ma limite est complexe entre le chasseur et l'homme. Il y a des moments où je me demande si un jour je ne vais pas carrément devenir le chasseur pour oublier l'homme. La douleur peut faire faire des choses stupides. Si je pense que devenir un spectre était une réaction stupide ? Certainement pas. J'ai subis des aberrations toute mon enfance. J'ai été leur jouet jour et nuit sans aucun répit. Je doute aucunement de ce que j'ai vu durant ce temps-là, des vies sacrifiées, et des tas d'autres choses dont je ne parle pas, dont je ne parlerais jamais. « Si tu veux te plaindre, je te conseille de le faire auprès d'une autre personne. Je ne peux t'offrir de plus que mon expérience. » Ce n'est pas tout à fait vrai, mais là, je suis un chasseur, pas un barista. « Si tu veux changer d'instructeur, décides-en maintenant, après ce serait trop tard. Ne t'attends pas à de la copinerie de ma part, pour l'instant tu es mon élève et je n'hésiterais pas à te le remettre en tête à coup de pioche s'il le faut. Je suis pas un cadeau, c'est un fait avéré, mais lorsqu'on en aura terminé, tu seras une véritable chasseuse et pas un de ceux qui hésite à chaque fois qu'ils traquent. » Je m'arrête un instant, le regarde droit dans les yeux. « Des commentaires, des demandes avant de commencer ? Où on peut s'y mettre ? » Je ne lui laisse pas le temps de répondre alors que j'enlève ma veste, retire mes chaussures et mes chaussettes et me met sur le tatami. « Je te conseille d'enlever tes chaussettes, l'adhérence est hyper importante dans le sport de combat que je vais t'enseigner. Connais-tu le Kempo d'ailleurs ? » Peu de personne connaissent cet art martial, mais à la fin de son apprentissage, elle en connaîtra les moindres secrets.