Shit happens | Anthea & Baxter

Shit happens

Anthea & Baxter

Bordel, les dernières semaines ont vraiment été merdiques, quand j’y pense. Entre les Vampires qui voulaient nous vider Joren et moi de notre sang, les grotesques révélations familiales et mon connard de patron qui m’a viré l’autre jour... on dirait que le karma en a après moi, sérieux. S’il a un problème avec moi, qu’il vienne me le dire en face une bonne fois pour toutes, putain ! Ouais, qu’il vienne me le dire en face, au moins comme ça je pourrai lui péter la gueule comme il se doit ! Mais bon, j’imagine qu’il n’a pas les couilles pour venir me le dire en face, ce putain de karma, donc je ne peux rien faire d’autre qu’encaisser tant bien que mal. Ça me soûle tellement, bordel ! A chaque fois que je sens que je vais mieux, que ma vie a enfin un semblant de sens, il faut toujours que ça parte en cacahuète. Fatigué, bordel. Perdu, démotivé, tiraillé par l’envie de me replonger dans mes vieilles habitudes, je vague dans les rues de Bristol pendant cet après-midi gris et fade, sans but précis. Je n’ai même pas envie d’aller graffer, et puis, même si c’était le cas, le fait de le faire pendant la journée pourrait m’apporter des ennuis. Ouais, c’est très joli de s’intituler « la ville du graffiti » hein, mais ça n’a pas tout changé, oh que non. Les règles à la con qui cherchent à empêcher les graffeurs de s’exprimer sont toujours d’actualité, et encore plus lorsque les messages concernent la politique absurde de Bristol. Vous savez quoi ? Les dirigeants de cette foutue ville sont de vrais coincés qui ont un balai dans le c...

« Hey, regarde où tu vas, connard ! »

Clignant les yeux comme si je venais de me faire réveiller brutalement, je fronce les sourcils tout en faisant une grimace de dégoût. Je l’ai à peine touchée, la meuf !

« T’faire foutre et bonne journée à toi, oui ? »

Sérieux, il y a des jours où je ne supporte pas les gens. Et ce, quelle que soit la race en question. Humains, Elfes, Vampires, Lycans. Tous soit des abrutis, soit des coincés, soit des jaloux, des tarés manipulateurs, ou que sais-je. Et puis il y a eux, qui ont toutes ces caractéristiques à la fois. Mais il ne vaut mieux pas que je me mette à y penser, parce que sinon je risque d’avoir le mauvais instinct de péter les dents à quelqu’un et ça, les amis, ce n’est pas une bonne idée. Ma vie est déjà bien assez pourrie pour que je n’ajoute encore plus d’emmerdes à ma collection. Non, qu’ils aillent tous se faire foutre, tous, et qu’on me foute la putain de paix une bonne fois pour toutes. C’est une bonne idée, nan ? En plus c’est parfaitement faisable, donc allez-y, oui ; ignorez-moi et passez votre chemin comme si j’étais invisible. Recrachant une dernière fois la fumée de ma cigarette, je jette le mégot d’un air on ne peut plus blasé. Et pile quand je m’apprêtais à vider ma bouteille de bière, voilà qu’un orang-outan sorti d’on ne sait où m’attrape par le bras et m’empêche de continuer à me bourrer la gueule. Je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe, avant de me retourner vers ce type, le dévisageant avec un regard interrogateur. Heureusement qu’il a vite lâché mon bras, parce que sinon je vous jure...

« Quoi ? »

Je tilte enfin lorsque je vois la gonzesse à ses côtés. Ah tiens, la Victoria Beckham Jr. avec son air renfrogné et sa veste chic ! Elle n’a pas encore digéré le fait que je l’ai effleurée sans même faire exprès ? Qu’est-ce qu’elle veut encore, des excuses et 100.000 £ de dédommagement ? Pas de bol hein, parce qu’elle n’aura ni l’un ni l’autre ! Et pas de tournée avec les autres Spice Girls – quoi, je lis le journal de temps en temps – non plus à la place de la vraie Victoria. Bouhou, pauvre chou, j’en ai les larmes aux yeux.

« Répète ce que t’as dit à ma copine. »

« Quoi, elle est bouchée, ta nana ? »

Réponds-je avec un sourire de sale gosse, provocateur. Le bulldog grogne – littéralement, si si – avant de s’avancer vers moi d’un air menaçant et de plaquer ses grosses paluches contre mon torse.

« Répète ce que t’as dit. »

« Bas les pattes, Godzilla. Premier et dernier avertiss... »

« RÉPÈTE, DUCON ! »

Il me pousse encore une fois, me faisant presque trébucher et là... Là, il n’aurait pas dû. En colère, je brise la petite bouteille sur sa tête de cul, avant de lui envoyer mon poing dans sa gueule.

« J’ai dit ‘VA TE FAIRE FOUTRE TOI ET TA PUTAIN DE COPINE, ET BONNE JOURNÉE’ ! »

Victoria Beckham Jr. ouvre grand la bouche, non pas pour chanter, mais pour montrer à quel point elle est choquée par le fait que je lui aie dit bonne journée deux fois de suite. Juste avant que le colosse ne me frappe à son tour. Merde, bordel, il est un véritable gorille, putain ! Son premier coup de poing dans ma gueule me fait perdre l’équilibre, puis le deuxième m’envoie par terre. J’essaye de riposter, mais force est de constater que cet abruti est beaucoup plus grand et plus fort que moi – pourtant, il me semblait moins grand quand je lui avais hurlé mes sympathies, WTF ? – et que je ne fais pas vraiment le poids, surtout avec mes sens embrumés par l’alcool. Le type enchaîne cette fois-ci les coups de pieds dans mon ventre, me déclenchant des douleurs si intenses que j’en ai le souffle coupé. L’arcade sourcilière ouverte, la lèvre inférieure aussi, je ressemble à un boxeur qui vient d’être mis KO. La différence, c’est que même en tapant le sol plusieurs fois, personne ne semble vouloir arrêter la partie. Le primate continue de beugler des insultes, mais je ne l’entends même plus. Affalé par terre comme une merde, je ne fais que tousser compulsivement, tout en essayant de respirer tant bien que mal. Puis je me rends compte qu’il s’est arrêté, que quelqu’un parmi les badauds qui observaient ou filmaient la scène avec leurs téléphones a dû intervenir, à moins que le colosse n’ait décidé de partir de lui-même. Qu’est-ce que j’en sais, hein. La vue floue, je cligne les yeux tout en essayant de me redresser. Roh la vache, on dirait que je viens de me faire écraser par un tracteur, putain ! Je plisse les yeux. Est-ce que j’ai des hallucinations, là ? Est-ce que je plane ? J’étire un sourire stupide qui me fait un mal de chien.

« Oh bah dis dooonc, si ce n’est pas ma nouvelle sœur qui est lààà ! » Je m’esclaffe bruyamment, partant dans un fou rire incontrôlable qui me fait tellement mal que les larmes me montent aux yeux. « Sœurette, t’es venue me sauver ! » En ce moment, j’ignore si je suis en train de rire, de pleurer ou de pleurer de rire. « Aide-moi... Sors-moi d’ici... » Dis-je en murmurant. J’ai mal et je n’arrive toujours pas à me remettre debout. Foutue Victoria Beckham et son orang-outang.

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Qu’est-ce qu’elle fait là ? Est-ce que j’hallucine ? Ou il s’agit bel et bien de Thea ? Si ça se trouve, ce type m’a frappé tellement fort qu’il m’a mis dans les vapes et que cette voix fait juste partie d’un rêve à la con. Sauf que... Apparemment non. Parce que j’ai mal, putain. Et normalement, ça veut dire qu’on est réveillé, non ? Enfin, j’en sais rien. En tout cas, c’est marrant quand même, vous ne trouvez pas ? Moi qui n’arrive pas à effacer ces révélations de ma tête depuis un moment, et paf, voici ta demi-sœur, Anthea Blackrain ! Pile quand j’avais besoin d’un coup de main, qu’est-ce que c’est beau ! Est-ce que quelqu’un peut dire à mon karma qu’il est un abruti de première ? Oui ? Super alors. Vous pouvez aussi ajouter que je l’emmerde, mon putain de karma. Et que j’emmerde Victoria Beckham aussi. La vraie, celle qui lui a copié l’expression faciale et le foutu orang-outan qui vient de me péter la gueule. Je les emmerde tous, hein.

Je tourne la tête vers le visage qui ressemble à celui de Thea. Sa question me fait marrer doucement. Si je suis défoncé ? Ben voyons, j’suis bourré ; pas défoncé, remarque ! Je plonge mon regard dans celui de ma sœur, plus sérieux que jamais.

« J’suis clean, tu m’entends ? Bourré, certes, mais clean. A moins qu’on n’ait mis un truc dans ma bière... Tu crois que... ? C’est pas possible, quand même. »

Je me gratte le menton en marmonnant pensivement, avant de regarder la jeune femme à nouveau quand elle me dit que je n’ai pas perdu la main pour me faire des ennemis. Ah ça ! Un rire amusé s’échappe de ma gorge, suivi d’un petit grincement de dents dû à la douleur. Bordel, pourquoi j’suis pas né lycan, merde !

« Bah ouais... Chacun ses talents, hein ! Et puis, c’est ce qui fait mon charme. »

Dis-je avant d’étirer un sourire typique d’un ivrogne qui divague. Mais j’ai raison, non ? Ça fait bien parti de mon charme, non ? Dommage que la meuf et son garde du corps n’y aient pas été sensibles... La voix de l’ancienne Résistante me tire à nouveau de mes pensées lointaines. Euh quoi ? Elle veut m’emmener où ? Fronçant légèrement les sourcils, j’attends quelques secondes avant de m’appuyer sur elle pour me relever lentement. Ma bouche s’ouvre, tandis que j’étouffe tant bien que mal un gémissement plaintif. J’essuie le sang qui coule de mes lèvres abîmées sur le dos de ma main, la peignant de rouge. D’abord, ça me donne envie de rire, puis de pleurer. Putain, j’suis pire que les femmes enceintes là. Le fait que la brune touche mon visage avec douceur n’aide pas non plus. La vie est étrange, bordel. D’abord, elle a fait que nos chemins se séparent. Puis qu’ils se recroisent dans la Résistance. Puis qu’ils se séparent à nouveau pendant des années... Jusqu’à ce qu’on se recroise à nouveau et qu’elle ne vienne me protéger, en mode grande sœur. Pas que j’en aie besoin, hein ! Mais c’est un peu ça, et ça me donne envie de chialer. Enfin, ça, l’alcool, la douleur et la honte.

« Je veux bien. »

M’appuyant encore un peu sur elle, j’attends qu’elle montre le chemin. Nous nous dirigeons donc vers son chez elle, alors que la nuit tombe sur Bristol, comme un voile noir pour cacher mon visage amoché et honteux. Je m’enferme dans un mutisme volontaire, n’étant pas sûr que je doive lui raconter ce qu’Alexander m’a dit il y a quelques semaines. J’suis bourré, et donc pas forcément très crédible. Même en étant sobre, à se demander si elle me croirait. C’est tellement absurde, tellement rocambolesque ! Et pourtant, même si ces révélations m’ont bouleversé, une partie de moi est contente de savoir que j’ai encore de la famille en vie. Depuis le Grand Incendie, je me suis toujours senti seul. Plus ou moins entouré parfois, mais toujours seul dans le fond. L’incendie est devenu un sujet tabou pour moi, je n’en parle jamais. Mon départ à Bristol était d’ailleurs une tentative de ma part de laisser le passé derrière moi, de l’oublier. Mais à croire que ce n’est pas possible. Qu’on ne peut pas fuir éternellement son passé...

« Comment tu vas ? Ça fait longtemps… »

Combien d’années déjà ? Six ans ? Sept ans ? Putain, le temps vole, c’est presque flippant. Même si tout ce temps s’est écoulé depuis l’époque de la Résistance de Réversa, je m’en souviens comme si c’était hier. Cette sensation d’échec, de ne pas avoir réussi à les faire payer pour les atrocités qu’ils avaient commises. Les Anges démoniaques. Les sales cons qui s’en sont sortis et qui se retrouvent désormais au pouvoir à Bristol... Ils s’en sortent toujours, ces enfoirés. Mais nous, nous qui avons perdu une partie de nous à cause de leur avidité et de leur cruauté ? Nous sommes marqués à vie. C’est ça la vérité.

« J’suis content de te revoir. »

Dis-je, alors que ma main serre doucement son bras et que je tente de me redresser un peu. Alors, est-ce qu’on est encore loin de chez elle ou bien... ?

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Juste bourré. Bien. Bourré, c’est bien ; drogué, c’est mal. Mais bon, bourré et amoché, ce n’est pas beaucoup mieux non plus. J’ai mal, bordel. Et pourtant, je souris, parce que j’suis content de revoir Thea après tout ce temps. Mon sourire s’agrandit de plus belle quand la jeune femme me dit que j’excelle dans le domaine d’emmerder les gens et de ne surtout pas changer. Bah, même si je le voulais, pas sûr que j’en sois capable. J’ai une grande gueule et un caractère de cochon, ça fait partie de moi, c’est comme ça. Et j’assume. Même quand on m’a pété la gueule comme ça. Cela dit, j’suis fatigué et j’ai mal. Heureusement que l’elfe est là, ça m’aide à penser à autre chose.

« Tu t’ennuies pas, dis donc ! Mais j’suis content que tu sois toujours en liberté. Moi... ça va. Comme tu vois, je n’ai pas changé. Je survis, je me bat... Je prends des raclées de temps à autre, pour le fun. »

Ouais, ça fout bien sur un CV, nan ? « Hobbies : graffer, baiser, picoler, prendre des raclées comme un con. » Mouais. Oubliez le CV, de toute façon. Mon parcours professionnel n’est pas si glorieux que ça, à vrai dire. Je continue de marcher, m’appuyant sur Anthea, grinçant les dents à chaque fois qu’un nouveau pas réveille une douleur dans mon corps maltraité. Je pousse un rire doux, amusé, quand la jeune femme dit que mon charme de connard lui avait manqué. Je ferme les yeux un instant quand je ressens sa main me soutenir plus fermement. Anthea, ma demi-sœur... Elle ne s’en doute même pas, comme moi-même je ne m’en doutais pas jusqu’à il y a quelques semaines. Je n’en reviens toujours pas, d’ailleurs. Que ma mère ait pu tromper mon père. Et qu’elle m’ait menti surtout, pendant toutes ces années... Tout comme oncle Alexander, d’ailleurs. Ouais, je crois que je n’arriverai jamais à l’appeler papa, hein. En même temps, si c’était ce qu’il voulait, il aurait dû me raconter la vérité il y a bien longtemps. Sauf qu’il ne l’a fait. Personne ne l’a fait. On a préféré garder le secret, faire semblant. A croire que c’est ce que tout le monde aime faire, que la sincérité est bonne à jeter aux orties. Bande de sale menteurs ! Je ne suis pas comme ça, moi. Je vais dire la vérité à Thea, à Persé... Il le faut, non ? Je me pose la question, silencieusement, tandis que je marche toujours aux côtés de l’ancienne résistante. Impatient, je finis par demander si son chez elle est encore loin. La réponse arrive bientôt, et me rassure.

Quelques minutes plus tard, le fameux carrefour dépassé, le bâtiment aux briques rouges apparaît au loin. Pendant ce temps-là, Anthea tient à me mettre en garde. Apparemment, pas de bol, elle a des voisins de merde.

« Bof, j’suis censé me laisser intimider par ces p’tits cons ? Sans déc', je les emmerde ! »

Réponds-je d’une voix paresseuse, haussant légèrement les épaules. Néanmoins, ce serait peut-être mieux que je marche sans son soutien. Je ne suis pas complètement handicapé non plus, hein. Et puis enfin, s’ils décident de me dénoncer, qu’est-ce que ça peut bien me foutre ? J’suis pas une aberration, à ce que je sache. Mes papiers disent « humain », je paye mes impôts. Qu’est-ce qu’ils veulent de plus ? Qu’ils aillent se faire enc*ler plutôt ! Je me détache de ma demi-sœur, avant de pousser un soupir douloureux. Allez, je peux le faire, ça n’a rien d’insurmontable. Mon visage tuméfié à moitié caché par ma capuche, et les mains dans les poches, je marche nonchalamment, sans zigzaguer et sans me plaindre. Puis, une fois chez Thea, je peux enfin pousser un râle de douleur. Bordel de merde, enfoiré de gorille.

« On n’a pas été repérés, il me semble ? Tu vois, on est discrets comme des ombres ! »

Dis-je avec un sourire en coin. Puis j’observe ma main ensanglantée. Je grimace. Ma respiration s’accélère. Il faut que je lui dise, bordel. Il faut que je lui dise, et il faut qu’elle me croie. Qu’elle me prenne au sérieux, bon sang. Je regarde Thea, alors que je me sens un peu plus moins bourré maintenant. A croire que le fait d’avoir marché avec elle m’a fait du bien. Mais l’effet de l’alcool n’est pas totalement passé, et vu que je compte lui parler sérieusement... il faudrait quand même dessaouler complètement.

« Dis, Thea, t'aurais pas du café chez toi ? Je voulais... J’ai un truc à te dire, mais tu vas croire que j’suis bourré et... Putain, fais chier. »

Je lève les yeux au ciel. Je m’exaspère moi-même. J’suis tellement con, putain. Et j’ai si mal. Et j’ai la tête qui tourne. Je sens le monde tanguer sous mes pieds, j’ai l’impression que j’suis sur le point de tomber dans les vapes.

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Anthea & Baxter

Putain, j’ai l’impression que le monde est soudain devenu un manège. Pas dans le sens fun du terme, non, mais plutôt dans le genre où le monde tangue sous mes pieds. Pas marrant, oh ! Ce n’est pas comme si ce que je voulais dire à Thea n’était pas déjà assez dur, hein. Bon, au moins, l’elfe m’empêche de m’effondrer comme une merde et m’aide à m’asseoir. Je porte ma main à ma tête, tout en grimaçant. Je ferme les yeux un instant, tentant de respirer et de reprendre contenance. Je hoche la tête lorsque la brune me dit de ne pas bouger, en attendant qu’elle revienne avec le café et de quoi grignoter. Bah voilà, ça oui, c’est tout ce dont j’avais besoin. Rouvrant les yeux, je pense à mes conneries de tout à l’heure. J’ai vraiment fait du Baxter, et même si j’en suis pas particulièrement fier – surtout vu mon état actuel – ça me donne quand même envie de rire. J’étire toujours un rictus idiot quand ma demi-sœur revient dans le salon. Je prends un air plus sérieux alors qu’elle s’assoit près de moi, avec sa trousse de secours et, attention, avec des cookies. J’ai envie de l’embrasser, mais je retiens. (Embrasser dans le sens fraternel du mot, hein. Sur la joue. Ou sur le front. Ou sur la tempe. Bande de pervers.)

« Merci. »

Dis-je d’une voix rauque, avant d’attraper un cookie et de le dévorer. Peut-être que cela ôtera enfin ce foutu goût de sang de ma bouche. Je me demande toujours comment ça peut plaire aux vamps’, d’ailleurs. Beurk. Je soupire et bois ensuite un peu d’eau – ça, ça risque d’être un peu plus efficace, je pense. Passant une main dans mes cheveux, je détourne mon regard pendant quelques secondes, avant de regarder l’elfe à nouveau lorsqu’elle s’approche de moi pour me soigner. Je hoche la tête, les sourcils légèrement froncés. Ça risque de piquer, ouais... T’as même pas idée. Silencieux, je la laisse faire, serrant la mâchoire pendant qu’elle désinfecte mes plaies et que ça devient vraiment désagréable. J’ai envie de lâcher un torrent de gros mots, mais, une fois n’est pas coutume, j’arrive à la garder fermée. Déjà que j’suis encore à moitié bourré, alors si je commence à pleurnicher aussi, jamais elle ne me prendra au sérieux. Là, il le faut vraiment. Il faut qu’elle me croie. Mais bon, on n’en est pas encore là. Si j’arrive à bouger mes doigts ? Je hoche la tête, affirmativement. Ma main n’est pas cassée, il me semble. N’empêche que ça fait mal, quand même. Bordel de merde. Mon cœur s’accélère lorsque l’ancienne résistante se rapproche de moi, se plaçant à quelques centimètres à peine de moi et de mon stupide visage tuméfié. Je détourne encore une fois le regard, n’osant pas croiser le sien. La douceur de ses gestes pendant qu’elle examine mon visage me frissonner, les larmes me montant aux yeux. Je ne dis rien, pourtant. Je préfère la laisser croire que c’est parce que j’ai mal et c’est tout.

« Je veux bien des antidouleurs, ouais. Merci. »

Réponds-je d’une voix fatiguée. En temps normal, j’aurais rigolé ou je me serais vivement plaint de la force surnaturelle de ce foutu gorille de merde. Là, j’y arrive même pas. Je baisse la tête, tandis que Thea s’en va avec le bol. Inspire, expire. Reste calme. Tu vas juste lui raconter ce qu’il t’a dit. C’est tout. Rien de tout ça n’est ta faute. Enième soupir. Et elle est de retour, avec le fameux café qui sent merveilleusement bien et une bouteille de whisky. J’attrape cette dernière, en versant quelques généreuses gouttes dans mon café aussi. Désolé, hein, mais j’en ai besoin, putain. Tentant de sembler calme, détendu, je tourne la tête vers Anthea, ma tasse en main. J’en bois une courte gorgée. Qu’est-ce que j’ai à lui dire ? Bordel, j’ai envie de rien lui dire, en ce moment. J’étire un léger sourire, avant de me mordiller la lèvre. Oubliez le calme, j’suis à deux doigts de paniquer. Je posse ma tasse sur la table basse. Tant que je ne lui aurai pas dit la vérité, je n’arriverai à plus rien avaler, de toute façon.

« J’suis ton frère. »

Surpriiiise ! On est le 1er avril, bouuh. Ou pas, hein. Ou pas... Mais ça ne m’étonnerait pas qu’elle croie à une mauvaise blague. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, que je ne peux m’empêcher de m’esclaffer en ce moment. Tant pis pour le sérieux, hein. De toute façon, il aurait fallu que je sois complètement sobre pour que j’y arrive vraiment. J’attends quelques secondes avant de poursuivre, la tête entre les mains.

« Eeeeh oui, j’suis sérieux. Ça aurait pu être une blague de l’année, mais... Youhou, il s’avère qu’on a le même père ! Ce petit coquin d’Alexander, que j’ai appelé tonton pendant toute ma vie... Et qui savait pendant tout ce temps que j’étais son fils. »

Cet enfoiré. Je lui en veux à mort. J’aurais dû lui casser la gueule quand il m’a raconté tout ça. Je regrette vraiment de ne pas l’avoir fait. J’étais juste... sous le choc. Non seulement il avait survécu à l’incendie, mais il était... mon père. Sans déconner, quoi.

« On s’est croisés dans la rue, il y a quelques semaines, Alexander et moi. Je le croyais mort, comme pas mal de monde dans mon clan. Lui aussi me croyait mort. T’aurais dû le voir... Il m’a pris dans ses bras, il était... tellement content de me voir, de savoir que j’étais en vie ! Tellement content que, miracle, il a décidé de me dire enfin la vérité. Qu’il avait eu une affaire avec ma mère alors qu’elle était mariée... ‘Nous nous sentions seuls tous les deux’, c’est ce qu’il m’a dit. Pff. Tonton Alex. Comment il a pu ? Comment ma mère a pu elle aussi ? Mon père l’aimait. »

Pendant tout ce temps, j’ai eu les yeux perdus dans le vague, revivant le passé, repensant à mes parents, à mon enfance, mon adolescence. Je me lève enfin, passant une main dans mes cheveux, nerveusement, avant de river mes yeux dans ceux d’Anthea, suppliant. Il faut qu’elle me croie.

« Je te jure que tout ce que je t’ai dit est vrai. J’ai peut-être bu et j’suis peut-être un p’tit con pas très sérieux, mais crois-moi... ceci est bel et bien réel. Notre père nous a menti pendant toutes ces années. D’ailleurs, il m’a demandé de ne rien te dire, ni à toi, ni à Persé... ni à personne. Juste de garder le secret pour moi... De faire durer le mensonge. comme si c’était facile, putain... Mais tu vois, je hais les mensonges, je hais les menteurs, alors il fallait que je te dise, avant que le courage ne passe. »

Je soupire longuement, avant d’aller m’assoir aux côtés de Thea. Je bois une gorgée de café, avant d’attraper deux cookies. Mine de rien, ça m’a fait du bien de lui raconter ça. C’est comme si un poids s’était envolé. La bouche à moitié pleine et les lèvres encore un peu trop douloureuses, je reprends la parole.

« Alors, contente d’avoir un petit frère casse-cou – et comme le dirait la vieille, t’sais, ma voisine de palier, ‘l’ivrogne le plus adorable au monde’ ? » Je pouffe, avant de me blottir contre l’elfe, ma tête posée contre son épaule. « Dis-moi que tu m’en veux pas... »

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Je hoche la tête. Et oui, sérieux. Ce n’est pas une blague, ce n’est pas un poisson d’avril, mais bien la vérité. J’hallucine encore, rien que d’y penser. Même des champignons magiques n’auraient un effet pareil, putain. Du coup, ça m’étonne pas qu’Anthea ait été surprise elle aussi... La nouvelle doit être difficile à avaler, surtout en même temps que le whisky. Je me serais bien marré si le sujet n’avait pas été autant sérieux. Un soupir franchit mes lèvres, tandis que je la regarde. Je me demande si elle va me dire de partir. Pourquoi le ferait-elle ? Eh bah... Et pourquoi ne le ferait-elle pas ? Décidément, je me pose trop de questions. Boire et se prendre une raclée monumentale, ça doit pas être bon pour la cervelle, j’imagine. Néanmoins, je finis quand même par lui demander si elle ne m’en veut pas. Juste pour être sûr. Ce serait vraiment cool si elle ne m’en voulait pas... Je ferme les yeux alors que sa tête se pose sur la mienne. Elle ne m’en veut pas, et du coup, je ne m’en veux pas non plus. Ça, ça fait du bien. Par contre, les mots qui suivent me font pouffer de rire.

« Le fruit des égarements et du mensonge de tonton Alex... Le genre de phrase qui me fait tout de suite sentir mieux. »

Dis-je d’une voix teintée de rire. Bah quoi ? Mieux vaut en rire, tellement c’est tordu, tout ça. Ma main serre celle de Thea.

« J’suis le petit dernier, mais je ne me laisserai pas tyranniser pour autant, je te préviens. » Je pouffe à nouveau. « Mais en fait, t’es vraiment sûr que j’suis le dernier ? »

Franchement, je ne suis plus sûr de rien. Si ça se trouve, il y a toute une fratrie encore à découvrir ! M’enfin, j’espère pas, quand même...

« Et moi alors ! J’en reviens toujours pas ! Genre, ça aurait pu être une autre Anthea, sauf que non, c’était la seule que je connaissais, tu vois ? »

Dis-je, narquois. Puis, une fois la parenthèse comique fermée, Thea exprime son ressenti face aux mensonges d’Alexander. Je ne pourrais être plus d’accord. Mes sourcils se froncent et mon visage se fait plus sérieux au fur et à mesure qu’elle souligne à quel point notre père est enfoiré de menteur. Comment osait-il lui faire la morale alors que lui-même était un sale menteur ? Hypocrite, va. Mais en tout cas, elle a bien raison : s’ils doivent en vouloir à une personne, c’est bien à leur géniteur.

« D’un côté, ça rend tout ça encore plus douloureux pour moi... Dans mon cas, il savait qui j’étais pendant toutes ces années. Il était là, dans le clan. Il venait nous voir, ma mère et moi, il m’offrait des cadeaux parfois... Je l’appelais tonton. Il m’entendait appeler papa un autre homme que lui... et il n’a jamais rien dit. Et ma mère non plus... »

Je passe une main sur mes yeux fatigués, puis j’attrape un cookie. Grognon, je ne tarde pas à répondre lorsqu’elle tient à me dire que j’ai intérêt à ne pas retourner ma veste pour me mettre à bosser pour le CAA.

« Roh ta gueule, pourquoi je bosserais pour le foutu CAA ? Je les emmerde, quoi ! Jamais je ne bosserai pour eux ! »

Limite si je ne suis pas vexé qu’elle m’imagine prêt à le faire. Boudeur, je referme les yeux.

« Puis, on a toujours été dans le même camp. Pourquoi je changerais maintenant, hein ? »

Nous sommes tous les deux des Résistants dans l’âme et nous détestons le système actuel qui nous enferme tous dans cette ville pour mieux nous subjuguer. Un système qui fait confiance aux Anges et qui suit leurs conseils. Honteux, putain. Honteux. Je rouvre les yeux lorsque ma sœur me demande ce que ça fait de se découvrir une nouvelle famille et aussi si les autres deux sœurs sont au courant. Je ne réponds pas tout de suite. C’est difficile à expliquer, ce que ça fait.

« Bah... Ça fait peur. Que des sœurs, quoi ! »

Réponds-je, rigolo, avant de prendre un air plus sérieux. Je soupire.

« Pour être franc, je ne sais pas trop. J’avais une famille pendant tout ce temps... Alors que je me croyais seul au monde suite à la mort de mes parents. Depuis que j’suis arrivé à Bristol, j’ai fait tellement de conneries... parce que j’étais seul. Ou mal entouré, ce qui est encore pire. Je me demande si ça se serait passé différemment si je vous avais tous dans ma vie. Peut-être bien, peut-être pas. Mais j’aurais préféré être au courant. »

Parler de ses sentiments les plus profonds, repenser au passé... Tout ça alors que j’suis affalé sur ce canapé. C’est moi, ou on dirait que j’suis chez un psy ?

« Et pour répondre à ton autre question... Non, y’a que toi qui es au courant pour le moment. Mais... Je veux leur dire moi-même. Okay ? Donne-moi le temps, et je le ferai moi-même. »

Dis-je, avant de bâiller longuement.

« Sœurette, je peux passer la nuit chez toi ? J'suis littéralement KO. »

Eh ouais. J’suis vraiment pas en état de quitter ce canapé. Sauf si elle préfère me laisser son lit. Après tout, j’suis le petit frère en sale état.

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Shit happens

Anthea & Baxter

Eh non, je ne suis pas tout à fait sûr d’être le dernier nouveau membre dans cette famille, hein. En même temps, Alexander est un putain de cachotier, et un coureur de jupons aussi, apparemment. Et le pire, c’est qu’il n’a pas été foutu d’assumer ce qu’il a fait. Il aurait pu me dire la vérité, lui qui me connaissait depuis toujours. C’est ça qui m’a blessé le plus ; le fait de découvrir qu’il m’a menti pendant toutes ces années. Je passe une main sur mes yeux fatigués. Je ne peux m’empêcher d’exprimer mon ressenti face à tout ce merdier. Pouvoir parler avec quelqu’un qui me comprend, ça fait du bien. Mon amie, ma sœur. On se connaît depuis des années, et on est dans le même camp. Au moins, on pourra se soutenir l’un l’autre lors des repas de famille, qui promettent d’être épiques. Et encore plus épiques si elle se met à douter du fait que je ne supporterai jamais la CAA ou le foutu gouvernement ! Genre ! Comment peut-elle imaginer un truc pareil ? Oh, je me doute qu’elle blague là-dessus, mais bon. Autant lui assurer tout de suite que non, je n’ai pas changé. Con et rebelle jusqu’au bout. J’étire un sourire amusé lorsqu’elle dit que j’ai la tête dure et que ça doit être un truc de famille. Si ça se trouve, ouais !

En tout cas, Thea m’assure rapidement qu’elle me croit, qu’elle sait que j’suis fiable, que c’est même l’une de mes qualités. Je pousse un petit rire amusé, un peu sous l’effet de l’alcool, mais aussi parce que c’est rare que quelqu’un souligne mes qualités. Eh oui, j’ai toujours eu droit à plus de remarques sur mes défauts plutôt que des louanges sur mes qualités. J’ai toujours été l’enfant terrible du village, le petit rebelle qui cassait les couilles à tout le monde. Bref, cela ne me blesse même plus, j’ai habitude. Mais n’empêche que ça fait du bien, des mots sympas de temps en temps. J’éclate bruyamment de rire lorsque l’elfe me dit qu’elle est contente d’avoir enfin un appui fraternel de « son petit Baxouchou » et qu’elle m’ébouriffe les cheveux comme si j’étais un gamin de 10 ans.

« Hé, sister ! C’est moi qui suis bourré et toi qui me sors des surnoms pourris ?! »

Elle reprend ensuite, plus sérieuse, et mon regard se plonge dans le sien. Regard qui d’ailleurs se fait plus sérieux à son tour. Thea a raison, il va sans doute falloir se serrer les coudes à l’avenir, peut-être même dans un avenir proche. J’suis tout à fait d’accord avec l’ancienne résistante, on n’est pas sortis de l’auberge. Je hoche la tête lentement, avant de lui tapoter l’épaule. Penser au futur, dans un contexte pareil, est tout sauf rassurant. Mais, même si ça donne juste envie de se cacher quelque part ou pire, de se casser la gueule, la vérité est que la vie ne s’arrête pas, le monde continue de tourner, indifférent à la souffrance des gens. Alors bon, faut être fort. Oui, on n’a pas le choix, tout simplement. Faut être fort et ne pas trop penser à l’avenir. Et au passé non plus, à vrai dire. A chaque fois que je le fais, il y a une blessure qui se rouvre et qui fait mal. Comme maintenant, que je repense à ce que j’aurais pu devenir si elle était là, si j’avais pu compter sur mes sœurs, et voire même sur Alex. Peut-être que j’aurais moins merdé, oui... Malheureusement, on ne peut pas changer le passé. Voilà. C’est comme ça, et on n’y peut rien. Autant ne pas trop y penser. Je finis par dire à Thea que je préfère que ce soit moi qui annonce aux jumelles que j’suis leur frère. J’aurai peut-être besoin d’un peu de temps, mais je veux le faire moi-même. Anthea est d’accord, et je pousse un soupir, soulagé.

« Je te tiendrai au courant... si je ne me suis pas ouvert les veines avant. Sérieux, putain de bordel, ça va être joli... Mais oui, je te tiendrai au courant, sœurette. »

Dis-je en m’affalant de plus belle dans le canapé en riant. J’appréhende la réaction de Persé et d’Ethel, mais je dois leur dire la vérité. Mais ça va pas être une partie de plaisir, je le sens. Heureusement, je n’aurai pas à le faire dès ce soir. J’suis épuisé, bourré et mal en point à cause du gorille qui m’a tabassé tout à l’heure. Là, je veux juste dormir, me reposer. Je demande à Thea si je peux rester dormir, et sa réponse est positive. J’étire un sourire en coin, reconnaissant, alors qu’elle m’assure que même si je n’étais pas son frangin, elle ne m’aurait pas foutu à la porte dans un état pareil. Ça, j’en doute pas, surtout qu’elle m’a déjà hébergé par le passé – eh oui, je bois beaucoup et ça ne date pas d’hier. Le commentaire qui suit m’arrache un éclat de rire.

« Rooooh non, p’tain, t’imagines le truc ! Juste... Noon. Enfin, c’est pas que t’es moche, hein Cersei, mais... Moi, c’est Baxter, okay, pas Jaime Lannister ! » Plus sérieux, je tiens à la remercier. « Merci, Thea. Je reste cette nuit, et... on en reparle demain matin. »

J’ai envie de lui faire un câlin, mais je n’en ai pas la force. Je crois que je vais juste m’endormir sur place. Comme une merde salement amochée, eh oui.

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