Revenge [Fionnuala, Isaak & Sage]

Sa tête fit un bruit mat en heurtant le sol. Avec la résonance de ce lieu isolé, la symphonie de notre court combat avait des airs de grand opéra. J’y préférai les représentations moins précieuses, les cabarets burlesques et leur mise à nu : en ce qui devait bien être une des dernières soirées fraîches de la saison pour les mortels, nous allions aussi procéder ici à un petit tombé des masques en bonne et due forme.

Je passai ma manche sur ma lèvre dans un geste rapide pour sécher une longue coulée de sang qui s’en échappait, or de question de lui laisser une seconde de répit. Une goutte tomba au sol et son son se mêla au grognement de mon bras droit, il n’aurait pas dû l’ouvrir. Agrippant une barre métallique qui trainait dans l’entrepôt, je lui décochai un coup dans les côtes. Leur craquement sinistre fut si léger à mes oreilles que j’en conclus que je n’avais définitivement pas frappé assez fort. Je recommençai donc, m’appliquant aussi bien qu’à l’époque où on me demandait de bien frotter l’argenterie pour qu’elle brille : après tout, lui aussi allait avoir le droit à la plus belle représentation de sa vie. A cette pensée, ma paume se crispa et cet épieu improvisé vînt se ficher dans le sol meuble et terreux du hangar abandonné. Sa main désormais clouée au sol s’agitait, il hurla alors que je m’emparai des chaînes pour le maîtriser définitivement et sifflai, tel un oiseau rêvant d’un ciel aux nuages éphémères et à la beauté de sa lune éternelle.

La mélodie avait un goût cruel. Elle ne me ressemblait pas... Elle était toutefois nécessaire, aussi vitale que l’oxygène qui emplissait les poumons d’un de mes acolytes du soir quand il se détacha de la pénombre ambiante. Celle-ci mordait nos silhouettes, nous confondait dans ses limbes vaporeuses qui déjà abîmait nos corps et nos coeurs dans des ténèbres dont nous savions qu’une fois embaumés nous n’en reviendrions jamais. Aucun retour possible, pas de rédemption... Si j’avais su en relevant mon regard vers Isaak à quel point cette pensée était ironique, sans doute aurais-je ri : un rire sarcastique qui ne collait pas avec la Sage que tout le monde connaissait. A vrai dire, cela n’aurait pas sonné si faux.

Depuis sa disparition, je ne me reconnaissais pas moi-même. Il y avait d’abord eu la douleur, sa lente agonie qui m’avait poussée à tout tenter pour la rejoindre. Puis ça avait été le vide, les entrailles déchirées, la poitrine éviscérée, le choc de la sentir mourir et les phases du deuil s’étaient stoppées là. Imbécilement, la suite du processus cicatriciel me regardait en m’adressant des clins d’oeil complices. Je lui aurais bien craché à la gueule tiens, comme à ces négriers ou à cet homme allongé face contre terre. Est-ce que la colère fait partie de la suite ? Quoi qu’il en soit, le déni, on ne m’en avait pas accordé le luxe. J’avais eu tout le loisir de goûter à cette souffrance qu’elle avait expérimenté, à cette solitude dans ce moment de partir aussi. J’aimais à songer que maintenant que sa mère venait à son tour à se détacher des ombres qu’elle à présent qu’elle n’a jamais été seule. Isaak, Fionnuala, moi. Nous t’aimions Moirin.

▬ Alors Rob, la petite réunion complotistes avec mes alliés te plait-elle ?

Robert Leach parut se décomposer en remettant les deux personnes qui avaient rejoint la sauterie de cette nuit. Désormais, il savait.
Et maintenant, nous allions nous venger.