Halloveween - Le jardin -

Le Manoir était gigantesque, mais c'était les jardins que Eleanor avait préféré en pénétrant dans la demeure, où une fête avait été organisée en l'honneur de ces deux mariages qui soulevaient quelques questions dans l'esprit de la danseuse. Il était si bien entretenu, que les prunelles de la demoiselle s'étaient longtemps figées sur ces carrés fleuris, ces buissons taillés au millimètre près et ces décorations faites d'une main de maître. Alors, lorsque la cérémonie avait touché à sa fin et que Corvus avait annoncé son désir d'aller faire un tour dans la salle de bal, Eleanor avait jeté un dernier coup d’œil à son opposé, espérant que celui-ci ne se fasse pas remarquer, avant de retourner à l'extérieur, inspirant profondément en sentant l'air pur caresser sa peau.

De ses deux mains, elle réarrangea rapidement ses cheveux noués en un chignon, et sentit un frisson la parcourir en écoutant les sons peu rassurant qui résonnaient au milieu des buissons et des plantes. Les squelettes, les citrouilles et les toiles d'araignées étaient nombreux, tous comme les personnes présentes qui laissaient leur curiosité s'attarder sur les décorations et les sons. Des rires machiavéliques retentissaient, des claquements de dents les accompagnaient. Eleanor n'avait pas forcément peur de ces effets sonores, mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir la chair de poule et ses mirettes scrutaient attentivement le jardin. En son cœur résidait le désir d'apercevoir son frère et de pouvoir profiter un peu de la soirée à ses côtés.

Ses cheveux n'étaient pas particulièrement dur à brosser et à coiffer, mais le vent qui s'était levé après que le soleil ait disparu derrière l'horizon et les tournoiement de tête à gauche, à droite, avaient fini par permettre à quelques mèches rebelles de se glisser hors de son chignon. Être un peu décoiffée ne dérangeait absolument pas la danseuse, mais les mèches lisses lui arrachaient des frissons lorsque le vent soufflait, caressant sa nuque. Elle avait parfois l'impression qu'un insecte s'y glissait et préférait ainsi nouer sa chevelure de façon à ce qu'elle ne soit pas gênée par ses impressions. Mais alors que ses doigts étaient occupés à remanier ses cheveux, Eleanor n'entendit rien des pas de la petiote qui se rapprochait d'elle à quatre pattes et sursauta lorsqu'elle sentit quelqu'un la percuter.

Abandonnant sa chevelure qui retomba tel un ruisseau sur ses épaules, la sœur jumelle de Jesse haussa les sourcils de surprise, avant de s'apercevoir qu'il ne s'agissait que d'une simple mère à la poursuite de sa fille un peu trop aventurière. Une main sur l'épaule la fit tressaillir, mais Eleanor ne vit aucune once d'agressivité dans le regard de la marâtre et ses lèvres s'étirèrent en un petit sourire. « Ce n'est rien, ne vous inquiétez pas. » dit-elle avant d'abaisser ses yeux vers l'enfant. « Heureusement, elle ne s'est pas aventurée près du grand méchant loup, n'est-ce pas ? » dit-elle en affichant un rictus amusé et attendri, ses yeux se redressant vers la mère. Était-elle toute seule avec sa fille ? Observant tour à tour la fillette et sa mère, son regard fut finalement attiré par un duo à l'autre bout de l'allée, un homme semblant vouloir faire marche arrière tandis que la femme qui se tenait à ses côtés le tirait dans l'autre sens.

Plissant les yeux vers le spectacle, c'est lorsque la silhouette masculine se rapprocha que Eleanor le reconnut. « Jesse ! » souffla t-elle d'un air joyeux, ses yeux retrouvant de leur brillance, avant de froncer les sourcils et de se diriger vers lui lorsqu'elle vit le visage fermé de la demoiselle qui l'accompagnait. « Jesse, je suis contente de te voir ! Mais qui est-ce ? » demanda t-elle en continuant de s'approcher, désormais proche du duo. Elle ne la connaissait pas, et ne s'attendait pas à ce que les projets de ces Potentiels tentent de se mettre en place ce soir-là.

Le sourire d'Eleanor s'était effondré à l'instant même où elle avait approché d'un peu plus près son frère et cette femme, et toutes ces autres personnes qui l'accompagnaient. Pas un regard. Pas un sourire. Rien. Comme s'il n'était plus qu'un automate, Jesse lui était passé devant dans une démarche presque mécanique. Comme si son âme avait soudainement été bridée, son visage n'avait frémis sous aucun sentiment, laissant sa sœur jumelle désormais immobile, le cœur bondissant dans sa poitrine avec douleur. Que se passait-il ? « Jesse ? » souffla t-elle d'une voix presque imperceptible, ses yeux clairs observant les mouvements décidés de son frère qui avançait, s'éloignant d'elle, s'éloignant des retrouvailles fratricides. Que lui arrivait-il ? Elle savait pertinemment qu'il ne l'aurait jamais ignoré ainsi, et ses pas la menèrent en direction du groupuscule. Eleanor s'était muré dans un silence total, épiant la scène avec inquiétude, appréhension, et colère aussi. Son regard se tourna vers la femme qui accompagnait son frère, et ses sourcils se froncèrent, davantage lorsqu'elle vit Jesse s'approcher d'un homme que les membres du groupuscule entouraient.

Qu'est-ce que c'était que ça ? Que faisaient-ils ? Et Jesse ? Était-ce un compte à régler ? Ses membres crispés se tendirent davantage dès lors qu'elle vit la main de son frère s'enrouler autour de la gorge du malheureux pour la lui briser. Elle ne vit pas les larmes aux creux de ses yeux, mais son cœur rata un battement en entendant le craquement. Que venait-elle de voir, face à elle, impuissante ? Le corps désormais inerte et d'abord à genou flancha sur le côté, s'écrasant sur le sol. Mort. Des mains de Jesse. Devant ses yeux. Devant toute une populace qui commençait à se rassembler. « Mon Dieu... » murmura t-elle d'effroi. Un haut-le-corps la fit reculer d'un pas et porter une main à sa poitrine. Ses mirettes écarquillées, tout un tas de sentiments s'emmêlaient les uns aux autres. L'incompréhension. La peur. La terreur. Mais ce fut la colère pulsa finalement davantage dans les veines de la danseuse et elle bouscula Faith, ainsi que tous les gens qui lui barraient le passage pour retrouver son frère et comprendre. Comprendre ce soudain changement d'humeur. Comprendre cet acte meurtrier, et comprendre celui qui l'avait commis. « Jesse ! Qu'est-ce qui t'a pris ?! » s'écria t-elle pour tenter d'élever sa voix au-dessus de la foule. Son ton était tremblant, tout comme ses jambes qui semblaient menacer de s'écrouler devant ce spectacle macabre auquel elle ne s'y était pas attendu. Son frère était un criminel, et si elle avait pu choisir de ne rien voir et tenter de fuir avec Cassandra, sans doute l'aurait-elle fait.