Entretien décisif ft. Jacob

J'avançais lentement vers les bâtiments qui se dressaient devant moi, siège du CODECS et du CAA. Mon ventre était noué depuis que j'avais quitté mon appartement, résultat d'un stress mal géré. Un petit sourire se dessina alors que je gravissait les marches menant aux portes de l'immeuble. Je contrôlais désormais mon don avec une aisance qui me surprenait parfois tellement je faisais les choses sans m'en rendre compte. Cependant les récentes tensions dans la ville n'allait certainement pas jouer en ma faveur, surtout avec un tel don. Je me devais de leur montrer que je n'étais pas une menace pour la ville, ni pour ses citoyens.

L'intérieur du bâtiment était impeccable, des gens y entraient, d'autres en sortaient. Je fus un peu prise au dépourvu par cette effervescence qui régnait au sein de cette tour avant de me diriger vers la réception.

Bonjour, je viens me recenser en tant qu'Altération.

Votre nom s'il vous plait.

Selena Kingsley.

Très bien, prenez ceci, il me tendit un papier, et empruntez l'ascenseur jusqu'au vingtième. Ensuite c'et un jeu d'enfant. Suivez le numéro, finit-il par me dire avant de décrocher le téléphone fixe à côté de lui et de composer un numéro.

Après l'avoir remercier je pris la direction de l'ascenseur. Le numéro sur le papier devait correspondre au bureau dans lequel je passais mon... "entretient". À mesure que la cabine me transportait vers les hauteurs du bâtiment, mon stress enfla apportant son lot de questions quant au déroulement de l'entrevue. Sur qui allai-je tomber, serai-je à la hauteur, mais surtout, serai-je encore considérée comme une humaine à part entière, ou comme un monstre qu'il faut absolument mettre en cage. Les portes s'ouvrirent sur un long couloir dont le sol revêtait le même carrelage que le hall d'entrée, d'un blanc immaculé. Les murs étaient vides de décoration. On aurait pu croire à un chemin menant vers le Paradis. Mais comme on dit, ne jamais se fier aux apparences, il pouvait tout aussi bien s'agir d'un chemin me menant directement en Enfer. Ma gorge se noua et je mis quelques secondes avant de sortir de l'ascenseur.

Mes talons résonnaient dans le couloir vide. J'étais seule, personne pour m'accompagner sur ce chemin. Heureusement ça n'avait pas été le cas ces derniers mois. Je repensais à mon séjour prolongé chez Poppy et Cassandra et je les remerciai intérieurement. Ils avaient tant fait pour moi, je me devais de réussir, au moins pour eux, qu'ils n'aient pas perdu leur temps pour rien.

J'arrivai devant le bureau et pris une profonde inspiration avant de toquer à la porte.

« Jacob, tu peux prendre mes entretiens de la journée ? Je suis débordée et on m’a ajouté trois tonnes de dossiers. »

« Pas de souci Sheila, envoie-moi par mail les noms que tu as déjà et préviens l’accueil s’il te plaît. »

« Merciii Jacob ! Jte revaudrai ça ! Crois-moi ! »

Je souris et je raccroche le téléphone. J’ai moi aussi beaucoup de boulot, mais surtout pour le MI6 et je dois avouer que je profite parfois de mon temps libre au CODECS pour plancher sur des cas pour le gouvernement. Je range donc cette affaire sous ma pile du CODECS quand le téléphone sonne à nouveau pour me prévenir de la venue d’une jeune femme avec bien sûr les remarques déplacées que mon collègue adore faire. Dis donc, l’attente n’aura pas été longue !

« Entrez ! »

C’est alors qu’une jeune femme, fort jolie, fait son entrée. De mon côté, mon ton est neutre et mon visage reste fermé. J’ai toujours été très neutre au niveau professionnel mais c’est aussi ce qui me permet d’utiliser mon métier de profiler du mieux possible. Je me dois de déstabiliser mes interlocuteurs pour mieux évaluer leurs comportements. Cela peut paraître étrange, mais fonctionne très bien car on est toujours plus naturel sous l’effet du stress… on ne contrôle plus rien.

Enfin, aujourd’hui, je dois me contenter d’interroger les personnes qui souhaitent se déclarer au sein du CODECS.

« Bonjour, prenez place. » j’ajoute de manière la plus neutre possible en lui indiquant la chaise qui me faisait face. Pour être honnête, je ne comprends pas les gens qui se désignent d’eux même à nos services. Tan qu’ils ne sont pas repérés ils pourraient être plus libres. Or, en venant nous voir, ils sont fichés évalués et destitués de leurs dons. Ils sont même tenus de revenir ans le service une fois par mois pour recevoir le sérum. Ils se mettent automatiquement en prison pour être dans les clous ? Même moi, qui suis un agent modèle, je ne sais pas si dans leur cas je me serai désigné. Cependant, nous ne sommes évidemment pas là pour parler de moi et pour évoquer des situations éventuelles dont on n’aura jamais l’écho puisqu’elles n’existeront jamais mais plutôt pour servir la demoiselle qui me fait face.

« Très bien. Je vais vous expliquer la procédure. Je vais compléter votre dossier avec les renseignements de base : nom, prénom, sexe, date de naissance etc… Ensuite je vais vous poser quelques questions et puis nous irons finaliser votre recensement dans une autre pièce. Après cet entretien, nous nous reverrons tous les mois pour faire le point. Je serai la personne qui vous suivra aussi longtemps que faire se peut. »

Je fais une pause pour la laisser encaisser avant de reprendre. « Vous avez des questions ? Si non on commence tout de suite » je croise alors mes mains sur le bureau et attends qu’elle prenne la parole respectant son temps de réflexion.

L'entrée dans le bureau fut légèrement intimidante. Je tremblais de tout mon être, mais j'essayais de faire en sorte que ça ne se voit pas. Il m'annonça la procédure qui allait suivre d'un bloc, laissa un petit moment, pour lequel je l'aurais bien remercié si je n'étais pas aussi stressée, avant de reprendre pour me demander si je n'avais pas de questions. Des questions, s'il y a bien un truc qui occupait mon esprit ces derniers jours, c'était bien ça, toutes ces foutues questions, qui allaient finalement trouver une réponse aujourd'hui. Cependant, je ne lui en posai pas, je restai patiente, ça allait arriver, bien assez vite. Je lui fis non de la tête.

Assise sur la chaise, peu à l'aise, je lui donnai alors mon nom.

Selena Martha Kingsley.

Ma voix chevrotante était loin de témoigner l'assurance dont je voulais faire preuve. Je me ressaisis et m'éclaircit la gorge.

Je suis née le 17 Avril 1987.

Je continuais d'énoncer les informations de bases tandis que mon interlocuteur, Jacob à en croire l'écriteau sur le bureau, les notait dans le plus grand des calmes, s'autorisant de temps à autres un petit regard plus incisif. J'exécutais de petits exercices de contrôle du stress avec mes mains, sous le bureau. Heureusement aucun liquide ne se trouvait dans la pièce, aucune autre chose susceptible de rendre mon stress encore plus visible qu'il ne l'était déjà. J'arrivais à maîtriser ce phénomène, mais vu mon la situation je me demandais même si je n'agissais pas sur Jacob à mon insu. Étant donné qu'il ne montrait aucun signe de gêne, j'en déduisis que j'avais encore suffisamment de contrôle sur moi-même, ce qui était vraiment rassurant puisque toute ma démarche reposait sur ce fait. Je n'étais pas resté cachée à m'entraîner tout ce temps pour finir ma route ici, j'estimais que j'avais encore des choses à faire en tant qu'Altération.

Les exercices commencèrent à me détendre un peu alors que la première partie de la procédure finissait. Finis les questions de bases, passons à la suite! Je déglutis réalisant que je ne savais pas du tout ce qui m'attendait concernant la suite de la procédure, j'avais juste hâte de dire ce que je me répétais depuis quelques jours. Je croisai alors son regard, sans rien pouvoir y lire qui me permettrait de savoir ce qui allait se passer. Pas une trace d'excitation, ni la moindre trace d'empathie. Un regard neutre, ne trahissant aucune émotion, comme le reste de son faciès.

La nouvelle venue que je devais recenser et donc suivre pour le restant de mes jours ici fit son entrée rapidement. Elle était stressée, c’est évident. Tout d’abord sa position droite comme un « i » sur la chaise révèle le fait qu’elle soit mal à l’aise, intimidée même et sa voix eu sûre affirme le diagnostic. Ainsi, je la laisse me donner son identité ainsi que sa date de naissance avant de reprendre la parole.

« Détendez-vous Madame Kingslay. Il ne va rien se passer de grave, je ne vais pas vous faire de mal et à la sortie de ce bâtiment vous existerez toujours ainsi que votre vie. D’accord. Dites-vous que vous faites une visite de courtoisie à votre médecin traitant. »

Je reste calme de mon côté. Ce type de comportement m’est familier et généralement un sourire et une voix un peu plus mielleuse permettent mes interlocuteurs de se détendre. Judd m’a d’ailleurs fait comprendre que je devrais être plus incisif et distant pour que les femmes me lâchent la grappe au lieu de me voir comme leur héros d’un jour et de me coller à mon insu.

Quoi qu’il en soit, cet entretien se déroulait sans encombre et malgré un pouvoir qui semble maîtrisé que depuis eu, la jeune femme se contrôle plutôt bien.

« Pouvez-vous m’indiquer de quelle manière vous êtes parvenue à maîtriser votre don ? » je demande alors avec légèreté pour ne pas qu’elle se sente menacée. Cela dit, quel que soit le nom qu’elle citerait, il sera inscrit dans son dossier et une enquête sera menée sur la personne en question. Ou les personnes. Autant dire que c’est le type d’information que l’on étudie avec minutie. Elles nous permettent, dans de nombreux cas, de trouver des altérations qui se cachent dans l’ombre via de faux papiers d’identité.

« Voilà, la première partie étant terminée, je vous prie de bien vouloir me suivre. » dis-je alors qu’elle finit ses explications.

Jai toujours été quelqu’un de très sérieux dans mon travail. Je mets un point d’honneur à être le plus neutre possible pour ne pas induire les gens en erreur. J’ai même pris des cours de théâtre pour cela. Je souhaitais perfectionner le contrôle de mon corps et des expressions qui peuvent me trahir. Après tout c’est moi qui dois pouvoir lire entre les lignes de mes interlocuteurs et non l’inverse !

Nous arrivons, au bout de trois couloirs et un escalier, dans une pièce ressemblant à un petit laboratoire d’analyses. Je la fais patienter dans la petite salle d’attente et me dirige vers l’un de mes collègues pour lui expliquer le cas et lui demander de la prendre en charge. Il acquiesce, je me permets donc de retourner vers ma protégée. « Voilà, le monsieur là-bas va vous prendre en charge. Il va vous faire une injection qui va annihiler votre don. L’effet est temporaire, aussi, il faut que vous reveniez tous les mois pour faire le point sur votre situation et refaire l’injection. « Je la regarde avec un peu plus de compassion cette fois . « Si vous avez des questions ou des inquiétudes, n’hésitez pas à m’en faire part. » Puis je prends place à ses côtés pour continuer l’échange et attendre avec elle.

Il jouait son rôle à merveille, lâchant par moment des phrases de réconfort pour me mettre plus à l'aise, me mettre en confiance et faciliter ma prise de parole. Au delà de l'entretien, il cherchait des informations qu'il pourrait mettre à profit. C'est là que je devais me montrer intelligente. Je ne pouvais pas lui dire que je l'avais maîtrisé toute seule, avec un don pareil, je voyais mal comment il pourrait me croire. Je devais mentir en m'inspirant de la vérité.

Toute seule... ou presque. J'ai demandé de l'aide à des gens mais personne ne voulait s’acoquiner  une Altération qui manque de contrôle sur son don. Il n'y eu que cette... Je repensai alors à ma grand-mère, tâchant de créer l'émotion de faire monter les larmes. Ma voix se teinta de tristesse et mes yeux s'embuèrent quand je poursuivis. Cette vielle bique...

J'espérais avoir suffisamment bien joué la carte de la tristesse pour qu'il ne me demande aucun nom. Sa réponse semblait me le confirmer puisque cette première partie était terminée.

On marchait alors dans un silence pesant vers la suite de l'entretien. Tout se ressemblait ici, si bien que, je ne pouvais fuir, je ne pouvais écouter cette petite voix dans ma tête qui me soufflait de m'enfuir, de ne pas poursuivre cette démarche. Pendant quelques instants, j'avais comme l'impression que cette petite voix, c'était mon don. Je ne savais pas vraiment si je faisais le bon choix ou non. Me rendre dans les locaux du CODECS pour un recensement... C'est un peu comme si je me jetais dans la gueule du loup.

J'entrai dans la pièce à la suite de Jacob qui m'expliqua rapidement ce qui allait suivre. Pour la première fois depuis l'entretien je vis un semblant d'émotion sur son visage. De la compassion.

J'ai une question en effet.

Je laissai un temps pour formuler au mieux ce que j'avais à dire.

Écoutez, commençai-je, je sais que le gouvernement nous voit comme des menaces qu'il faut apprivoiser dans le meilleur des cas. Je sais que vous ne faites que votre travail, mais imaginez les applications possibles à mon don. Maintenant faites le pour celui de nombreuses autres Altérations. Les gens ont peur du changement, mais l'ennemi ce n'est pas le changement, ce n'est pas nous, c'est la peur, le changement est la seule constante et ce, depuis toujours. Nous refuser notre don c'est comme nous supprimer un de nos droits fondamentaux.

Les sentiments que je nourrissais envers mon don avaient pris le dessus et ce n'est que maintenant que je réalisais à quel point j'y étais attachée. Je ne me voyais plus vivre sans.

La jeune femme assise devant moi est clairement mal à l’aise. Alors dans mon rôle d’enquêteur du CODECS, je pose les questions selon la charte établie afin de dresser un portrait de la personne mais aussi de dénicher d’autres indices qui pourraient éventuellement servir la cause de l’institution. Sa réponse concernant son apprentissage est aussi vague que le mensonge qu’elle me sert. Il ne me faut pas grand-chose pour savoir qu’elle e me dit as toute la vérité. Aussi, j’annote la réponse dans son dossier pour qu’une mise sur écoute soit faite afin d’essayer d’étoffer ce point. Elle ne me donne aucun nom et je sais que c’est volontaire. Malgré tout, je tente d’insister.

« Et quel est le nom de cette « vieille bique » ? je demande alors.
Cette fille sait clairement jouer avec les émotions de ses interlocuteurs, ce qui est dommage c’est que cela ne fonctionne pas avec moi. Cela dit, elle n’a aucun moyen de connaître ma profession officielle, ce qui pourrait être d’autant plus déstabilisant pour elle le cas contraire.

La première partie de l’entrevue achevée, je lui indique que nous allons passer à la suite. C’est tout de même dommage de se jeter seule dans la gueule du loup. Une fois qu’elle a passé les portes de nos bureaux, il n’y a plus de retour en arrière possible. Désormais, Mademoiselle Kingslay est fichée et devra se présenter tous les mois sous peine d’être traquée si nécessaire. Or je ne pense pas que c’est ce qu’elle souhaite. Ses mots l’attestent. Seulement, elle est venue de son plein grès et ce retournement de situation est assez étonnant. Normalement les gens qui se rendent savent tout à fait à quoi s’attendre. Si elle est venue pour avoir un allié au sein du gouvernement, elle s’est largement trompée de tactique.

« Mademoiselle, je ne suis pas là pour discuter des procédures. Vous vous êtes rendue ici de votre plein gré. Il est désormais impossible de revenir en arrière…. Et, j’attends votre question… » finis-je par lancer sur un ton plutôt froid et distant.

Ma réplique cinglante peut être surprenante mais je ne suis réellement pas du genre à discuter les procédures avec un citoyen. On peut dire que je ne suis pas conciliant surtout que de mon côté j’ai eu la chance de conserver mon don, cela dit, tous les humains à dons ne peuvent pas travailler pour le gouvernement uniquement car ils ont un don. Et quelque part, ne plus posséder de don c’est aussi une manière de se protéger de ceux qui pourraient vouloir les exploiter. Mais souvent, les humains ne voient pas ce côté sécuritaires. Ils se sont habitués à être différents et là où nous pourrions voir un aspect sécuritaire eux voient un simple racisme.

Bref, le médecin arrive et demande à Mademoiselle Kingslay de le suivre pour l’injection. Avec ce qu’elle vient de me dire, j’espère simplement qu’elle ne fera pas de vague. J’interviens alors et ajoute à l’attention de la jeune femme : « Si cela ne vous dérange pas je vais vous accompagner par mesure de sécurité. ». Et un simple coup d’œil au médecin indique que j’espère uniquement le protéger d’une éventuelle représailles.

Mes mains tremblaient toujours quand il m'emmenait dans l'autre pièce pour que je reçoive mon injection. Il n'y avait plus de retour en arrière possible, après cette injection je redeviendrais une humaine lambda. Il y a quelques mois de ça cette solution m'aurait ravie, je tenais à ma banalité, je ne voulais pas me sentir différente. Mais j'avais désormais conscience d'être quelqu'un d'unique. Le malaise grimpait en moi à mesure qu'on approchait de la salle et cette petite voix dans ma tête qui me criait de tout faire pour sortir d'ici prenait de plus en plus de place dans mes pensées. Tout s'emmêlait dans ma tête.

J'arrivai finalement dans la pièce après avoir passer une lourde porte en métal. Un siège, un de ceux qu'on peut trouver chez le dentiste, trônait au milieu de la pièce carrelée de blanc. Une lampe halogène nimbait la petite salle d'une lueur artificielle que les carreaux réfléchissaient, c'en était presque aveuglant et je dus plisser les paupières pour que la lumière ne m'agresse pas trop les yeux. Le médecin diminua la luminosité de la lampe avant de me faire signe de m'installer sur le siège. Ma gorge se noua et je réprimai un frisson d'effroi. Mes yeux trouvèrent Jacob dans l'espoir de croiser son regard, qu'il ressente ma détresse, mon impuissance.

Je continuais de le fixer tout en commençant à m'asseoir sur le siège. Il ne s'agissait que d'une injection, je le savais, mais pourtant j'avais l'impression que c'est tout autre chose qui allait se produire. Devais-je prendre les devants et me sortir de cette situation ? Peut-être, mais je me voyais mal employer mon don sur deux humains lambda à nouveau, la première fois m'ayant déjà servie de leçon. Les remords m'avaient conduis ici mais ils étaient à présent très loin.

J'aurais... J'ai une question. Comprenez-vous ce qu'il se passe Monsieur ? m'adressai-je à Jacob.

Le médecin avait un petit dispositif en main, au bout duquel une petite aiguille sortait. Ça ressemblait plus à un pistolet qu'à une vrai seringue.

Comprenez-vous que les choses ne font que commencer et que l'Histoire, avec un grand H, est amenée à se répéter ? Chaque époque à eu ses opprimés et la plupart d'entre eux ont marqué leur temps en renversant leurs oppresseurs. Rien ne laisse présager que cette époque puisse être différente.

L'aiguille piqua ma peau et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le sérum fut injecté.

Ça ne sera pas la première révolution pour Bristol. "Nothing to lose".

Comme de nombreuses personnes qui passent par cette pièce, par cette injection la panique finit par la gagner. Je peux la comprendre, je suis doué d’assez d’empathie pour cela. En revanche, je ne peux plus rien faire pour elle désormais qu’elle est rentrée dans le système. Je peux comprendre la peur que peut causer un tel changement. Sans mon statut j’aurais également dû passe par l’injection et ayant appris à vivre avec mon don je serais dévasté si je devais en être privé désormais. En revanche, peu de gens arrivent à comprendre qu’au-delà d’une vraie traque à l’homme et à la différence, cette injection est également un gage de sécurité. Car sans elle, on vous pourchasse et d’autres créatures peuvent également vouloir tirer profit des dons que certains humains possèdent. Sans don, et sous surveillance du gouvernement, vous disposez d’une certaine protection. Une garantie contre la mort, en quelques sortes. Du moins, c’est la manière dont je vois les choses et c’est aussi une manière, surement, de me cacher derrière les murs de la vérité. Je n’ai pas de haine contre mes semblables mais j’aurais aimé pouvoir choisir de disposer ou non d’un don. Tout comme tous ceux qui sont décédés parce qu’ils en possédaient un. Le problème étant qu’on ne pourra jamais lutter contre ceux qui ont le pouvoir et l’argent. S’ils décident de tous nous exterminer du jour au lendemain, ils pourront le faire sans problème.

« Bien sûr. Vous allez recevoir l’injection qui annihilera vos dons pendant un temps limité. » je réponds en haussant un sourcil. Je me doute que la question est bien plus profonde qu’elle n’y paraît mais je n’ai pas envie d’entrer dans le jeu de la jeune femme.

Malgré tout, malgré le médecin qui plante l’aiguille dans sa peau et sa position de faiblesse, la jeune femme continue de parler, de me sermonner tout en essayant de me rallier à sa cause. Mais quelle cause ?

« Pour le moment les choses sont-elles qu’elles sont et le gouvernement ne tue personne. Il essaye juste d’obtenir un certain contrôle et de protéger le plus grand nombre. Comprenez que sans vos dons vous n’avez plus de cible au milieu du front, pour qui que ce soit et aussi difficile cela soit-il d’accepter de perdre une partie de soi. « je lui réponds alors d’une voix très neutre.

Le médecin achève sa besogne et demande à la patiente d’appuyer fort sur le coton qui recouvre la petite piqure avant de revenir avec un pansement et de la relâcher.

« Je vais vous raccompagner. Dans un mois, vous devrez revenir pour la seconde injection. En cas d’absence je devrais mener l’enquête pour vous retrouver. »

ET cette fois-ci on peut m’ordonner d’agir avec sévérité alors ce ne serait pas dans son intérêt de louper le rendez-vous. « Et pour votre bien présentez-vous s’il vous plaît. Je comprends que cela puisse être compliqué mais vous vous êtes présentée de vous-même et c’est autant pour le gouvernement que pour vous. Cette mesure est discutable, certes, mais elle est obligatoire et peut vous aider à vous en sortir mieux que d’autres. »

Nous revoilà désormais dans le couloir qui mène à la sortie. Dans quelques minutes, cet entretien et cette injection ne seront plus qu’un mauvais souvenir pour la jeune femme.

Nous étions de nouveau dans le couloir. Jacob était à mes côtes mais je me sentais seule. À vrai dire, je l'étais. La pression que j'exerçais sur mon bras pour maintenir le coton en place me rappelait sans cesse que je n'avais plus de don désormais. Je pouvais voir le bon côté des choses, je n'allais plus devoir me cacher, je n'aurais plus cette boule au ventre en permanence, j'allais redevenir quelqu'un de normal aux yeux du système, ou presque. Mais je n'en voulais pas, de cette conformité.

J'avais ma part de responsabilité dans tout ceci, je m'étais présentée moi-même, de mon plein gré, espérant pouvoir faire changer les choses avec quelques belles paroles. Ma naïveté me sautait péniblement aux yeux. Les portes de l'ascenseur me sortirent de ma désillusion au moment où elles s'ouvraient. Un dernier regard vide à Jacob et j'entrais dans la cage métallique. Il y eu un petit temps avant que les portes ne se referment, je profitai de ce petit intervalle pour lui garantir que je me présenterai au rendez-vous pour la prochaine prise de sérum. Je ne sais pas s'il me croyait car j'avais moi-même du mal à me persuader de ce que je venais de lui dire. Et les portes se fermèrent.

Je ressentais le besoin de frapper partout, quitte à me faire mal, mais je n'en avais pas la force. Tout ceci aurait été vain, ce qui était fait était fait, on ne pouvait plus retourner en arrière. Je maintenais toujours la pression sur le coton, que je laissai tomber en m'en rendant compte. Il ne restait qu'une infime irrégularité dans ma peau à l'endroit où l'aiguille était entrée. Mon poing trouva finalement la froide paroi métallique de l'ascenseur dans un bruit sourd. Je venais de me faire mal, suffisamment pour occuper partiellement mon esprit pendant quelques minutes et le détourner du problème majeur.

C'est en me massant les phalanges de la main droite que je sortis, c'est également de cette manière que je fus accueillis par deux représentants qui m'attendaient quelques mètres avant la sortie du bâtiment. Ils ne me laissèrent d'autre choix que de les suivre. Des informations qu'ils me donnèrent je ne retins qu'une seule chose: j'allais aller au Ribcage. Les mots qui suivirent ce dernier n'avaient aucune importance. Ribcage. Ribcage. Ce mot résonnait encore et encore alors que les deux agents m'escortaient sans que je n'offre aucune résistance. À quoi bon ?