Selena M.Kingsley, Altération en devenir!

Selena n'a pas un très fort caractère. Elle est plutôt du genre à se faire discrète, sans jamais trop la ramener. Elle ne se contentera que du strict nécessaire dans une conversation, se retenant d'ajouter son grain de sel. Au premier abord, c'est une personne très ennuyante qui n'a jamais rien à raconter, qui ne fait jamais rien. Cependant quand on s'intéresse à elle, on se rend compte qu'il ne s'agit plus du tout de la même personne. On pourrait dire qu'il y a en fait deux Selena. Une qui reste dans son coin, qui fait acte de présence, mais qui pourtant ne fait pas rien. Elle ne parle pas, mais elle écoute, et parfois écouter s'avère plus utile que parler. Elle analyse sans cesse ce qui se passe autour, essayant d'en savoir le plus possible sur tout, car selon elle: le savoir c'est le pouvoir. L'autre Selena, celle que l'on peut voir en présence de ses amis est une femme débordante de vie, respirant la bonne humeur, la joie de vivre. Dans ces moments-là c'est presque difficile de ne pas l'entendre. C'est un peu le jour et la nuit. Ce changement d'attitude relèverait d'un manque de confiance en soi. Pourtant, en tant qu'avocate, elle se retrouve sans arrêt confrontée à des inconnus, mais dans ce cas là, il n'y a pas de problème, elle fait son travail, ignorant ce manque de confiance.
Elle n'accorde pas vraiment d'importance aux relations. Ses amis se comptent sur les doigts d'une main et elle ne ressent pas le besoin de créer de nouvelles connexions entre individus. Doté de très peu d'empathie elle peut parfois se montrer froide et sans cœur, ce qui n'est pas du tout le cas. Elle a juste du mal à se mettre à la place des autres.
Si un de ses amis devait la décrire en deux mots, il dirait sûrement que c'est une femme intelligente et discrète.

"La Cour vous condamne à une peine de cinq ans de prison ainsi qu'une amende de soixante mille livre sterling."

Le marteau claqua, marquant la fin de l'audience. Des applaudissements résonnèrent dans la salle, des souffles de soulagement se firent également entendre. Derrière moi se tenait la famille de l'accusé, je pouvais sentir leurs regards de braise sur moi. Ils étaient les seuls à pleurer dans l'assemblée. J'évitais de les regarder au maximum, je ne voulais pas y lire tout un tas de reproches. Leur fils venaient d'être jugé coupable, ce n'est pas à moi qu'il fallait jeter la pierre. Une femme s'avança vers moi, les yeux rouges et encore humides, me pointant du doigt. Je l'ignorai, rangeant mes affaires dans mon porte-documents. Elle se planta devant moi et se mit à vociférer tout un tas de choses. Deux agents vinrent la saisir lui demandant de se calmer. Ce qu'elle fit, profitant des derniers instants avec son fils. Je quittai la salle sans un regard derrière moi. À la sortie, journalistes et cameramans se ruèrent sur moi, m'assaillant de questions. Je répondis brièvement, les caméras me faisant plus rougir qu'autre chose. Puis la porte du tribunal s'ouvrit sur le coupable escorté par deux agents de police. Les équipes télés repérèrent la bête de foire et bifurquèrent rapidement, me laissant retrouver mon teint naturel.

J'étais enfin chez moi! À bientôt dix-neuf heure, il le fallait bien. Je sortis une assiette de pâtes de la veille, la mit au micro-ondes et me servis une tasse de café. Mon appartement ne respirait pas le luxe, mais il m'offrait le peu de confort dont j'avais besoin. Le bip du timer sonna, me donnant encore plus faim. À la vue de mon assiette mon ventre émit un grognement, ça ne lui plaisait pas, et à moi non plus. Je jetai les pâtes à la poubelle, appelai le livreur du coin et allumai la télé. Le monde avait connu des jours meilleurs. On ne comptait plus le nombre d'attentats, ni le nombre de tempêtes. Le présentateur n'annonçait pas une seule bon nouvelle. Ça dura vingt minutes puis l'écran se coupa, ne diffusant plus qu'une image annonçant une communiqué à l'échelle national. C'est parti la liste des bonnes choses continue! Le Premier Ministre anglais s'afficha devant moi et des millions de téléspectateurs. Le regard sérieux, la mine sévère, elle annonça d'une traite tout ce qu'il avait à dire dans un discours clair, concis et à la portée de tous.
                                                   
                                                   ***

"Monsieur Cobellaci, nous sommes d'accord sur le fait qu'il y avait un risque ce jour-là, mais c'est dans cette intention que vous y êtes allé n'est-ce pas ? Vous étiez à la recherche de frisson, d'adrénaline, vous nous l'avez dit tout à l'heure. Vous saviez le danger qu'une telle chose pouvait entraîner. Et pourtant vous avez quad même décider d'y aller.Pourquoi ne ps prévenir les autorités. Vous voyez, c'est ce point que j'ai encore du mal à saisir. Vous arriver à localiser un Lycan par on ne sait quel moyen, vous n'alertez pas les autorités compétentes, vous y allez avec un "ami" pour vous "amusez" et vous ressortez seul sans une égratignure. Sans une égratignure après avoir voulu tuer un Lycan, vous vous moquez de nous Monsieur Cobellaci ?! Nous connaissons la force des Lycans, un homme comme vous n'aurait pu en venir à bout, même avec un acolyte, et encore moins sans égratignure. Monsieur Cobellaci, nous savons que vous faites parti d'un groupe d’extrémistes et que vous y êtes actifs. Aberration ou pas, il s'agit d'un être humain avant tout, de quel droit prenez-vous la vie d'un être humain ?"

Je marquai une pause, fixant l'accusé. Un sourire narquois se dessinait sur ses lèvres. Il était serein, comme si il connaissait l'issue de l'audience. J'avais hâte de finir. Des journées comme celle-là se succédaient sans fin depuis la Révélation. Ça durait depuis des mois.

"Vous osez appeler ça des "êtres humains" ? Non mais c'est vous qui vous foutez de la gueule du monde! Depuis quand un être humain peut se transformé ? J'ai fait mon devoir de citoyen en abattant cette chose! "

-Votre devoir de citoyen vous dites ? Mais en commettant un tel acte, vous n'êtes plus un citoyen, vous devenez un animal. Et si l'on appliquait votre propre jugement pour votre peine ? Qu'en dites-vous ? Peut-être cela effacera t-il ce sourire de votre visage! J'en ai terminé Votre Honneur."

L'avocat de l'accusé plaidoya pendant dix bonnes minutes avant de laisser les juges délibérer. Tout se fit très vite, trop vite à mon gout. Un mois de travaux d'intérêt général ainsi qu'une amende s'élevant à deux mille cinq cent livre sterling, pour un meurtre. En comparaison, un jeune adulte ayant commis des violences sexuelles sur son neveu encourra une peine de cinq ans de prison et soixante mille livre sterling d'amende. Mieux vaut tuer une Aberration apparemment. Monsieur Cobellaci sortit du tribunal libre, un sourire narquois sur les lèvres.

Et dire que j'avais quitté Londres pour une envie de justice. Certes les affaires abondaient à Bristol, mais aucune des audiences ne semblaient équitables. Je regrettais souvent mon choix, les factures s'entassaient, mon appartement moisissait de l'intérieur couvrant tout les murs d'immondes tâches noires, mais je ne pouvais plus faire machine arrière. Je n'avais plus d'attache là-bas de toute façon, du moins, presque plus, elle ne comptait pas vraiment. Ma grand-mère, presque rien ne la rattachait à moi, excepté les liens du sang. Je lui rendais visite quand j'étais petite, assez souvent, puis ça s'est raréfié jusqu'à ne plus allez la voir du tout. La cause m'importait peu, mes parents me le disaient, je le faisais, je remettais très peu en doute leur parole avant. Maintenant je payais ses frais d’hôpitaux, de mon propre chef. Voulais-je me pardonner de ne pas l'avoir vu pendant tout ce temps ? Je ne sais pas ce qui avait poussé le reste de ma famille à mettre ma grand-mère à l'écart. La pauvre, elle devait se sentir seule. L'idée de lui rendre visite me traversa l'esprit, et il n'en fallu pas plus pour me décider.

Traverser mon ancien quartier m'emplit d'une nostalgie dont je n'avais pas besoin en ce moment. La route menant à l'hôpital semblait me faire passer par tout les endroits qui avaient un jour ou l'autre marqué ma vie, comme si le trajet tentait de me convaincre de revenir à Londres. J'arrivai à l'hôpital en fin d'après-midi. Le hall, désert, dégageait cette odeur typique de tous les hôpitaux et me rassura pour je ne sais quelle raison. Ne trouvant personne auprès de qui me renseigner, je m'engageai dans un couloir. Je marchais en quête d'une aide soignante, d'un médecin, mais je ne voyais personne. Je commençais à m'impatienter quand j'entendis une discussion non loin. Un homme, d'un âge avancé, se tenait au dessus du lit d'une vieille dame. J'entrai après avoir frappé.

"Selena ?"

Je regardai la vieille dame, perplexe. La raison aurait du me sauter au visage, mais sur le coup je me demandais comment elle pouvait connaitre mon nom. Des larmes coulèrent le long de mes joues. Elle avait tellement changé. La bienveillance se lisait sur son visage, son sourire me fit éclater en sanglot. Je ne savais pas à combien de temps remontait ma dernière visite, mais la voir comme ça me déchira le cœur. L'homme s'éclipsa, nous laissant profiter d'un peu d'intimité. Aucun mot ne se fit entendre les cinq premières minutes, le silence régnait en maître. Puis elle brisa ce silence, mais pourtant sans un mot, sans même un son. Je ne comprenais pas ce qui se passait devant mes yeux. Les mots se dessinaient devant moi, et ils résonnaient dans ma tête. Je la regardai, horrifiée, pas parce qu'elle était différente, mais à cause de ce qu'elle me disait, ou de ce que je pouvais lire. Étrangement, je ne ressentais aucun mal à lire et à l'écouter, je faisais les deux simultanément sans aucun soucis. Je découvrais que ma grand-mère est ce qu'on appelle une Altération, une humaine dotée de pouvoir. Bizarrement je sentais poindre une note de fierté en moi. Elle m'expliqua qu'elle était condamné, que son pouvoir la consumait, et qu'elle venait d'en faire sa dernière utilisation. Je me confondis en excuses la serrant dans mes bras, mais ça ne servait à rien, le mal était fait. Elle ne m'en voulait même pas, ni même à ma famille, elle comprenait leur réaction.

"Tu sais, bien des fois j'ai voulu ne pas posséder ce don, mais il fait de moi quelqu'un d'unique. De toute ma vie, c'est quand mon don s'est révélé que j'en ai le plus profité, au détriment de ma santé, c'est pour ça qu'aujourd'hui je suis là, et que vous, mes petits enfants payez mes frais. Vos parents n'ont jamais eu de don, je pense que c'est la jalousie qui les a conduit à me sortir de leurs vies. Je n'ai jamais compris pourquoi aucun de mes enfants ne fut possesseur de don. Sûrement une question de génétique."

Elle me souriait toujours. Un coup d'œil à l'horloge murale m'indiqua qu'il était temps pour moi de rentrer, je devais préparer mes dossiers pour les affaires à venir, et j'avais déjà pris du retard. Je lui déposai une bise sur chaque joue et sortis de la chambre, lui adressant un ultime regard emplit d'amour. Dans le couloir elle m'adressa:

"Tu es une avocate très douée, meilleure que je ne l'ai jamais été..."

Je me retournais, me préparant à la serrer dans mes bras, mais elle ne se trouvait pas dans le couloir. Horrifiée, je me précipita dans sa chambre. Les machines autour d'elles provoquaient un capharnaüm épouvantable. Des médecins débarquèrent dans sa chambre, me priant de bien vouloir sortir.

                                             

Nous étions tous là, autour de son cercueil. Mes yeux avaient depuis un long moment cessé de pleurer, mais la tristesse ne cessait de déchirer mon cœur. La pluie tombait à grosse goutte sur les parapluies noirs. Le cercueil entama sa lente descente dans la terre. Les mots du prêtre ne m'offraient aucun réconfort. Le cercueil toucha le fond et nous nous dispersâmes comme les nuages, qui laissèrent place aux doux rayons du soleil.  

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