Sous couverture (Arthur)

Les derniers rayons du soleil filtrent à travers le carreau dont les rideaux sont à peine tirés. Cheveux disciplinés et tenue de circonstance afin de passer pour l’honorable personne dont elle porte le masque. De ses prunelles, la douce observe une dernière fois le reflet que lui offre ce miroir. Ses cils sont recourbés, teintés d’un noir presque outrancier pour la naturelle qui n’ose d’ordinaire ce genre d’apprêtement. Son éternel jean a été remplacé par une robe aux manches longues, d’un blanc crème tandis qu’elle a serti son cou d’un pendentif emprunté aux pièces réquisitionnées de la police et jamais réclamé. Grimace qui ourle ses lèvres et donne à son image une dimension mi-réelle, mi-fantastique. La porte claque derrière elle tandis que résonnent sur son passage le cliquetis des talons qui chaussent ses pieds. Talons que l’elfe balancerait bien volontiers par de-là l’escalier qu’elle emprunte mais qui demeurent de rigueur. Drapée dans long manteau, c’est certainement la seule pièce qui élit grâce à ses yeux. Cette affaire l’obsède, distillant des images éparses de celui qu’elle est en charge de traquer depuis bien trop de semaines. Il faut qu’elle remette les compteurs à zéro et, qu’enfin, se taise ces battements ridicules de cœur qui naissent quand elle pense à sa défaite. Il ne sera que machiavélique celui à cause de qui elle se retrouve dans cette mauvaise passe. Dernier coup d’œil à sa montre, les commerces tendent vers la fin de leur journée fastidieuse et Hannah file dans la ville telle une ombre à la recherche de sa proie.

Elle tait les secrets qui l’animent mais serre son sac fermement contre son épaule. Sac qui contient tout ce dont la donzelle a besoin : armes, insigne et même paire de menottes car elle compte bien arrêter le trop audacieux et clore cette affaire. Les effluves de la distillerie chatouillent ses narines et l’ombre du bâtiment se dessine à ses yeux. Bâtiment qui, en apparence, n’a rien de tendancieux. Mystères qu’il recèle en son sein et qui tomberont bientôt sous le joug de son interrogatoire incisif. Prise par l’en train de la future confrontation, elle pousse la porte de l’échoppe et balaie des yeux les lieux, innocemment. Ou plutôt, à la recherche d’un quelconque obstacle. Guère connaisseuse des denrées dont regorgent les lieux, elle doit avouer que l’atmosphère qui se dégage de la pièce lui plairait dans d’autres circonstances. Repérant le comptoir, son visage s’anime d’un sourire presque carnassier. La victime serait bientôt là dans ses filets et calmerait ses étranges pensées qui l’incommodent. Silhouette qui n’a aucun secret pour elle car tellement étudiée grâce aux fichiers de la police. Honnête citoyen sur lequel la rumeur court. Filature qui va aboutir au triomphe de la brune. Conquérante, elle s’avance jusqu’au comptoir où elle laisse filer ses doigts avant d’entrouvrir les lèvres colorées pour l’occasion et déclamer : « Bonsoir. On m’a conseillé votre adresse, j’aurais besoin de commander. » Main tendue dans le vide, marque de politesse allant avec le personnage dont elle a chaussé le costume. Sourire qui nait sur son minois. « Je donne une réception la semaine prochaine, je ne me prétends pas connaisseuse. Pourriez-vous me conseiller l’une de vos meilleurs crus ? Votre prix sera le mien. » Hannah se mord la langue pour ne point rire devant ses allégations mais elle se contient. « Evidemment, il faudrait ajouter au prix initial la livraison. Je pense qu’une caisse comme celle qui est là-bas sera suffisante » dégaine-t-elle en pointant son doigt vers ladite caisse. Pour appuyer ses fonctions et sa position, c’est un chéquier qu’elle extirpe de son sac à main. Mensonge éhontée qu’elle expose aux yeux du réceptionniste. Professionnelle jusqu’au bout des ongles, le billet glissé à la fin est bien la marque de confiance de tout malfrat non ? Ironie dont elle se passerait bien. Jouer les rebelles n’est pas de son ressort. Elle coffre les criminels mais ne paye gracieusement ces derniers.Proposition ambigüe qui lui vaudra de demander une prime si sa traque est un succès. Car lorsque les portes de la distillerie se reformeront, ses talons voleront, ses baskets entreront en scène et l’individu qui se montrera certainement des suites de son arrivée, sera cerclé de la justice qui l’anime.

Remake d’un mauvais polar, c’est le premier rôle que décroche ce soir la très peu oscarisée Hannah. Sertie de subterfuges dont elle se passerait bien, l’idée qui germe dans son esprit de coffrer le nanti se fait de plus en plus vindicative. Dans quel but sacrifier la plante de ses pieds et ourler son visage de cosmétiques probablement rendus coupables de la mort de nombreuses espèces animales ? Faire la pintade n’a jamais été un luxe auquel elle se prête, préférant l’action à la distinction. Soupir qui sort de sa bouche lorsque des mots roulent jusqu’à ses oreilles, ses yeux capturent l’image ténébreuse qui s’infiltre et martèle aux portes de sa tête. C’est bien lui, le fruit de sa traque. Ses pupilles se rétrécissent et ses orbes tanguent d’une étrange lumière. Lui, qui serait si bien assorti à cette tenue ridicule dans laquelle elle s’est drapée. Lui qui fera certes moins le malin lorsque des verrous figeront son sort. Un sourire délicat se porte à ses lèvres, sourire qui n’a rien à voir avec l’intérêt qu’il porte à sa venue. Ce geste singulier d’Hannah signifie que la chasseuse arrive bientôt à son but et en conquérant, le bellâtre semble être maître de la situation. Elle laisse son discours flotter dans cette pièce qu’il cerne de sa personne, là-haut perché. « Sir Connely, je présume ? » lance-t-elle en réponse à ses paroles évasives. Le manteau frôle le comptoir quand elle se tourne pour observer l’homme de toute sa personne. Rien ne laisse à signaler la noirceur qui l’habite derrière ce minois qui ferait se damner certaines. Position éclectique et joute verbale qui fascine probablement d’ordinaire. Hannah se laisserait volontiers duper tant l’accent de l’homme sonne divinement à ses oreilles mais le bruit de ses pas sur le sol froid suffit à l’extirper de cette réalité alternative dans laquelle elle se plongeait quelques instants auparavant. Deux pas dans sa direction qu’elle poursuit : « Erin Hampton. Je ne reviens que lorsque la qualité est au rendez-vous. Je n’aurais pas de temps à vous accorder si ma commande ne convient pas, je ne suis pas de celles qui pratiquent le scandale au quotidien. L’êtes-vous ? » Pique lancée en vain car ce jeu se terminerait rapidement lorsqu’il fermerait les portes de l’établissement et que, de sa cachette déjà repérée depuis plusieurs jours à l’arrière de la boutique, dans cette ruelle, entre deux containers, elle guetterait l’homme pour mieux le filer. Jeu qui lui plait déjà tant les sentiments contraires qu’il évoque en elle doivent être stoppés. Lorgnant sur sa montre comme pour signifier son empressement, Hannah reporte son attention sur son interlocuteur puis vers le comptoir. « Il n’est pas bon pour une dame de traîner dans les rues à cette heure-ci, j’espère donc que, par galanterie, vous allez traiter ma demande rapidement. » Regard qui divague entre l’homme derrière le comptoir et celui qui les domine. Domine bien tant qu’il est temps Arthur car bientôt, tu domineras de ton regard acerbe le geôlier de ta nouvelle résidente, la prison.

Les paroles de l’homme l’amusent. Un sourire trahit son flegme et n’est guère feint. Ses pensées se bousculent et la dévient de sa mission première lorsqu’elle se prend à suivre la démarche du bellâtre descendant de son antre de ce pas qu’elle marque du battement de ces cils. Le rouge parerait presque ses joues lorsqu’il parle d’exigence. Elle serait sans détour lorsqu’il s’agirait de le remettre à sa place, derrière les barreaux qui l’attendent sagement. Ah, ce n’était pas un compliment porté envers Hannah mais vers miss Hampton. La déception se lit dans ses prunelles mais elle tente de se ressaisir et faire bonne figure. Et s’il désigne un certain Maxwell, il n’existe que Connely pour l’heure et ses yeux ne suivent le bras tendu mais gardent ce contact avec l’individu recherché. Il ferait sensation lors de son procès dans cette tenue, admirablement diabolique. Sa langue claque contre son palais avant qu’elle prenne la parole, les idées remises à peu près en place : « Je vois là votre professionnalisme, aller jusqu’à assurer la livraison de ses produits. C’est la marque de fabrique d’un vrai gérant. Je vous remercie pour votre dévotion ». Mais Hannah s’arrache à sa contemplation pour griffonner l’adresse fictive qui a été convenue en amont de sa couverture pour qu’aucun soupçon ne s’éveille sur son matricule. Son adversaire est un être redoutable et il vaut mieux parer à toutes les éventualités.

Les portes se ferment. Miss Hampton n’est plus. Après avoir confirmé la livraison, elle a quitté Arthur et la distillerie avec quelques formules de politesse de base. Dissimulée à la vue des regards indiscrets, surtout de celui du propriétaire des lieux, ce sont ses talons dont elle se débarrasse en premier, échangeant ceux-ci contre ses baskets cachées dans son sac. La robe ne peut être troquée contre un autre habit mais elle détache les bijoux qui parent son cou et ses mains. Ses pas deviennent silencieux et son regard ne cesse de scruter la silhouette du filé.  L’elfe n’est pas tranquille lorsque son téléphone se met à vibrer. Cela déconcentre son esprit parfaitement millimétré –peut-être aussi les yeux d’Arthur braqué sur son ombre tapie ne l’aident pas – et elle se mord la langue pour éviter de jurer. Néanmoins, le mal est fait, elle ne peut faire demi-tour. Priant tout ce qu’elle connait pour qu’il continue son chemin, c’est son arme qu’elle tient fermement contre son cœur au cas où les choses tournent mal. Son souffle n’est que murmure mais ses yeux sont grands ouverts. Tel est pris qui croyait prendre serait-il un proverbe significatif quand il s’agit d’Hannah Robinson ? Espérons qu’il passe son chemin et qu’elle puisse à nouveau emprunter le sien.

Nuit de tous les périples lorsque la policière, peu fière, se cache des yeux de celui qu’elle cherche pourtant à contempler. Maladresse juvénile qui l’emporte à quelques mètres de se faire démasquée. Hannah n’est guère prudente et se mord la lèvre pour se rappeler à l’ordre. Il n’est point l’heure de bavasser mais plus de se faire silencieuse, sans quoi elle ne donnait pas cher de sa peau. Serait-il capable de torturer celle qui s’est déguisée ? Comprendrait-il le subterfuge ? Quel mensonge éhonté pourrait donc lui servir la peu sérieuse ? Un mensonge qu’il ne croirait pas car on ne peut tricher avec la vérité, celle-là même de son ombre tapie dans un coin, masse ridiculement petite au milieu de la rue mais qui ne sait se faire murmure. Son arme, seul rempart face à la stature d’Arthur ne serait plus utile si elle la laisse tomber. Accroupie, dos au mur, l’échéance devient inévitable lorsqu’un errant déferle et pousse ce cri mélodieux qui ravit ses oreilles. Prétexte idéal pour tromper l’individu qui la guette et finira, tôt ou tard, par la démasquer. Le chat se faufile vers d’autres lieux tandis que la donzelle retient son souffle.

Le terrain semble sain car Connely s’en écarte, vaquant à des occupations qui intéressent beaucoup plus la fouine. Passée la frayeur certaine, c’est à quatre pattes qu’elle rampe le long de ce sol poisseux pour se défaire de sa cachette. Là, elle se redresse mais rase toujours ce mur, rempart contre les malfaiteurs. Car il s’agit évidemment de cela lorsqu’en s’approchant, elle surprend leur manège. Des gorilles circulent dans ce périmètre qu’ils veulent sauf et serein et Hannah trouve refuge derrière d’anciennes caisses laissées à l’abandon. Néanmoins, le destin trahit même les plus fidèles et, vu son degré d’implications dans les croyances, le mauvais sort s’abattra probablement un jour sur elle. Ne voyant pas bien la scène de son maigre promontoire, elle monte sur la première caisse et laisse seulement dépasser son front pour que l’orée de ses yeux distingue les détails. Echange entre des bandits, elle ne parvient à mettre un nom sur le visage de celui à qui Arthur tend la mallette. La colère la prend, cela aurait été l’affaire du siècle et ce chef un peu trop présomptueux qui l’a collée sur cette affaire ne pourrait que reconnaître sa valeur et laisser ses mœurs douteuses loin de son matricule. Le courage ne lui manque pas mais peut-être que la jugeote si. Hannah se hisse sur la pointe des pieds tandis que la caisse sur laquelle elle repose menace de céder. Les gardes ne sont guère très loin et l’idée de se faire attraper la fait frissonner. Pourtant, sa vision s’en trouve améliorée et elle peut discerner les traits de celui à qui est rendue la mallette pour en ériger un futur portrait robot. Victorieuse, elle n’en mène pas large lorsque le bois craque peu à peu sous ses pieds.

Craquement sévère annonciateur d’une lugubre sentence. Impossible de fuir face aux barreaux matérialisés par cette impasse dans laquelle Hannah se terre depuis plusieurs paires de minutes. Pas qui résonnent sur le goudron, voix qui résonnent dans ce qu’elle devine être des téléphones et la peur qui lui noue le ventre. Malgré son audace et son courage, sa mission était avortée et, au-delà des simples remontrances qu’elle risque en rentrant au poste c’est l’inconnu qui l’anime. Ses yeux ont à peine le temps de lorgner vers ses adversaires qu’elle se trouve désarmée par ces gorilles. L’un l’attrape afin qu’elle se redresse et passe une cagoule sur son regard désormais voilé. Trainée elle ne sait où, l’elfe tente de se débattre sans parvenir à grand-chose. Endolorie et légèrement contusionnée, elle préfère laisser la discrétion agir et ses sens rester intacts pour parfaire sa future évasion. Hors de question de rester entre les griffes de ces requins ni de se faire démasquer. S’avouer sans ressources ne fait guère partie de son dictionnaire.

Les gonds d’une porte que l’on ouvre grincent et la troupe s’engouffre à l’intérieur, suivie par l’air inquisiteur qui prend possession, à son tour, des lieux. A nouveau arrachée à ce maigre répit alors qu’on la tire vers le centre de ce qui semble être un grand dôme vu la résonnance de leurs pas, Hannah déglutit lorsqu’ils la laissent dans un coin. Tentant un mouvement, c’est un aboiement à son encontre qu’elle perçoit et le déclic d’une arme que l’on peut utiliser à tout instant. L’autrefois maligne reste donc sur ce sol froid, ses genoux ramenés vers sa poitrine, l’air lui manquant à travers le masque. De nouveaux pas se greffent à ceux déjà familiers de ses ravisseurs et une voix qu’elle voudrait sortie tout droit de son imagination s’élève. Voix qui appartient au mystérieux qu’elle suit et que pour l’heure, elle désirait fuir. Ses yeux côtoient le sol et ses lèvres tremblantes parviennent à murmurer des paroles à mesure que son esprit réfléchit à la stratégie à adopter. « Sir Connely. C’est un plaisir. A nouveau. » Malaise qui la gagne mais qu’elle tente de tromper derrière une parade maladroite. « Je suis désolée du malentendu mais. Il y a ce truc entre nous. Je ne voulais pas vous suivre et puis je vous ai vu sortir de votre distillerie et…ça a été plus fort que moi. » Battements de cil, sourire fébrile qui file, visage presque en forme de cœur. Soit, l’idée révulse la dénommée Hannah mais attise la délurée Erin. Stratégie qui lui parait presque nécessaire et dont elle a de l’aisance à mettre en place…à son plus grand déplaisir.