Hurricane || ft Ezechiel

Ma mustang noire prend silencieusement place en un ronronnement bien distinct à travers l'allée avant que je ne m'en extirpe et ne m'avance à travers le périmètre préalablement sécurisée. Mes pas, comme à leur habitude, finissent par claquer au rythme de ces talons qui foulent le sol de ton antre, laissant pénétrer en la tanière du loup, le félin aussi pernicieux que vénéneux que je suis. Mais il y a cette dissonance qui ne me lâche pas et qui se tapit discrètement à travers moi. Et depuis lors, je vis en un paradis perdu, ni ici ni véritablement là, m'accrochant à cet espoir que tu viendras me retrouver une fois l'ombre de la nuit sur nos deux âmes dénudées enfin tombée. Onde qui me traverse, me berce et me bouleverse, je ne suis qu'un fou, dépouillé de toute ivresse. Et la voilà trouble, l'image en le miroir qui ne me renvoie qu'à ce néant vaste et noir. Lourde se veut l'âme qui se traîne là où autrefois, au simple son de ta voix, d'un roulement de langue, à ton commandement contre tes ennemis tu pouvais observer l'impertinente qui en ton nom se déchaîne. Automate qui peine à réaliser le monde en lequel maintenant chaque jour il sera obligé de se réveiller, je ne percute pas vraiment ce qui s'est réellement passé. Je me sens juste vide. Sentiment que je pensais à tout jamais enterré, le voilà qu'il revient soudainement m'habiter. Reprenant sa place comme si de rien était. Tranquillement, en mes entrailles, le voilà établit, tel l'empereur maudit qui après de longues années d'exile revient conquérant sur les ruines de son empire qui ne fut jamais véritablement détruit. De son souffle de mort, il sonne la victoire en les vestiges de son royaume que ta lumière gardait endormit. Étrange. Rien en moi ne s'agite ni ne tressaille, je me contente simplement de faire sans même réfléchir. Je n'en ai ni besoin ni envie. Je suis seulement là, à agir, muée par cette volonté que je ne saurais moi-même expliquer.

Je sers mon poing droit, en agite quelque peu les doigts, comme pour ressentir si je suis encore bel et bien là. Il semblerait que oui. Aucune certitude, hormis celle que je dois me préparer. Pourquoi? Je le sais sans le savoir encore. Mon regard vide balaye les hommes qui se redressent et se postent bien droit à mon approche, me toisant de leur stature qui ni ne m'effraye ni ne m'intimide. Je ne les considère même pas. Tout ce qui m'importe c'est toi et ce que tu es capable de m'offrir, ce désir de mort qui aujourd'hui ne peut plus me fuir ni même me suffir. Un éclat de voix résonne et d'un mouvement de tête tu permets à la mer de s'ouvrir sur mon passage qui n'aspire qu'à tout engloutir. Lourde est l'âme qui ne peut plus rien ressentir. Et tu le comprends à ce regard vide qui s'ancre en tes deux puits de ténèbres que rien ne ferait défaillir. Lasse, je soupire, plisse légèrement les yeux en observant le coffre de ta voiture et les différentes caisses que tu as fait venir. Aucune pensée ni émotion ne vient agiter mon esprit qui s'est comme auto verrouillé. Je me contente d'extirper une cigarette de mon paquet de Sobrani, t'en propose une comme à mon habitude, tandis que l'autre fini à mes lèvres attendant patiemment de se faire allumer. Des black russian, mes préférées qui, au fond je le sais, sauront ravir ton palais de déraciné.

- J'ai eu un petit contre temps.

Mes sentinelles de jades à l'éclat assombris par la mort et l'orage qui en le silence de mon âme se préparent, glissent doucement sur les quelques éclaboussures de sang qui viennent rehausser le noir de mon pantalon enduit, la manche gauche de ma veste en cuir, ainsi que le teint opalescent de la dite main et de mon cou, laissant supposer les quelques fêlures que ta poupée d'albâtre pourrait esquisser pour la première fois ce soir. Seulement rien d'autre ne vient trahir la brisure insidieuse qui est présentement en train de me ravager et dont je n'ai moi-même pas vraiment conscience. Car lourde est l'âme qui ne peut plus rien ressentir. Mais toi, tu le comprends n'est-ce pas ?

- Je pense que ni toi ni moi n'avons plus de temps à perdre, et si on commençait?

Gardiennes d'émeraude rendues charbonneuses de par ce fard qui vient les rehausser et à la fois leur donner cette dimension implacable, je les vrille en leurs jumelles, miroir de ton âme, afin d'y déceler cette étincelle dont les dieux m'ont à nouveau privé. Tu ne connais pas ta chance de pouvoir laisser ton cœur frémir au moindre de tes désirs et autres soupirs. Sans plus de cérémonie, je me contente de t'énumérer d'un ton monocorde ce que je suis venue chercher, tel un psaume que la nuit percevrait et qu'elle viendrait en toute grâce m'exaucer.

- TTI Benelli M2 Super 90, Arsenal Firearms USA AF-1 Strike one avec suppresseur et mes deux pack de poudreuse.

Point. Ni petit jeu ou sourire taquin habituel, juste cette liste froide et calibrée au millimètre prêt. Au fond de moi, je m'intéresse surtout à ce que tu serais apte à me dégoter à ma prochaine commande si celle-ci s'avère être à la hauteur. Tu me dévisages. Seulement rien, toujours, puis le silence, encore. Une brève lueur étrange traverse mes iris désabusées avant que celles-ci, une fraction de seconde plus tard, ne se revoilent. Ni ici ni véritablement là, automate qui peine à réaliser ce paradis perdu en lequel tu l'obliges à exister, je ne ressens rien d'autre que ce vide, froid et dérangeant qui, régnant en les tréfonds de mon âme de ce silence de mort qui de nuit comme de jour inlassablement m'assaille, ne fait que creuser un peu plus l'indolence en laquelle doucement ma conscience seconde après seconde s'endort.

Je ne comprends pas, je ne comprends pas...

Je t'aime moi aussi, je ne m'étais jamais rendue compte d'à quel point tu aurais pu me manquer jusqu'à ce qu'on vienne d'entre mes bras t'arracher. Et il éclate ce monde qui entre mes mains devient écarlate à mesure que ma rage gronde. Je t'aime moi aussi, perdue entre dissension et morcellement d'un odieux Eden. Les voilà, ces mots que je ne prononcerais jamais plus et qui ne te toucheront qu'en nos chimères aujourd'hui révolues. Et je ne sais ce qui est mien ou toujours tien, seul subsiste cette douleur qui ne rime à rien. Qu'elle se taise avant que la folie ne reprenne et que je ne redevienne démon de l'antique fournaise. Je te laisse allumer ma cigarette, savoure ta délicatesse toujours de rigueur peu importe les circonstances. Alors en le silence je te détaille, observant les possibles rictus qui pourraient saisir ton visage à l'annonce de ma liste plus spécifique qu'à l'accoutumée. Impassible tu demeures, me confortant en l'idée que tu es pour la mort le meilleur des dealer. J'hausse les sourcils à ta question, puis d'un étrange sourire et d'une voix plus grave et suave te réponds :

- A t'en fendre le ciel.

Le regard droit devant moi, je m'avance tandis que tu nous sers les deux verres de vodka après que j'y ai consenti d'un hochement de tête. Saisissant le verre entre mes doigts de glace, je ne m'offusque pas du sang qui y trône ni de mon ongle à moitié arraché et lève mon verre pour sceller notre pacte, mes sentinelles de jade ancrées en tes pupilles rendues encore plus sombre par l'éclairage qui a tendance à crépiter de temps à autre. Je t'aime toujours, perdue entre dissension et morcellement d'un odieux Eden. Que la paix s'étende en mes yeux devenus si terne. Donne-moi un rêve, plus beau que ce que j'aurais pu un jour imaginer. Parce que je t'aime moi aussi, et c'est très exactement ce qui me fera crever. Cul sec qui n'annihile pas la peine mais ravive la haine, embrase mes veines et en le vertige de tes tourments me sacre à la fois catin et reine. Subitement, je bouillonne, m'embrase et ressens de nouveau cette rage qui m'outrage à mesure que de mon esprit semble s'effacer les traits de ton visage. Donne-moi ce putain de rêve qui me fera oublier ce réel qui coup après coup m'achève. C'est alors que soudainement mon shot se brise, encastrant les éclats de verre en ma main devenue lambeau de chair. Réveille-moi ! Soulève-moi! Fais-moi me souvenir de ce que ça fait que d'encore ressentir!!! Mais tu le comprends à mon regard placide, que seul le vide m'habite et me façonne de ses mains perfides. Je me contente alors simplement de te demander :

- Est-ce que je peux faire quelques essais du Strike One? Si sa mélodie me plait, j'aurais une autre demande à rajouter au Benelli.

Tu me détailles, pensant sans doute que je voulais shooter sur une rangée de bouteille, des mannequins ou autre palette de cible à la con :

- Ne te dérange pas pour la cible…

Je me dirige vers ma mustang, calme, le pas battant à l'exacte mesure, ouvre tranquillement le coffre et en extirpe le lycan qui m'avait mis en retard, puis laissant son corps ni vivant ni mort retomber lourdement au sol :

- J’ai ce qui faut.

Tes hommes me dévisagent, observent et comprennent la nature de la carcasse, t'interrogent du regard tandis que tu sembles reconnaître notre invité tout sauf mystère. D'un hochement de tête tu nous laisse avancer, et alors que tes hommes traînent le nocturne et le crochètent à la chaîne d'acier avant de le suspendre, je retourne près de toi, tends ma main afin de recevoir le strike one et t'avoue un sourire éteint aux lèvres :

- Promis, je ferais le ménage après si tu veux.

Donne-moi un rêve, différent de tous ces je t'aime mort en ma poitrine et qui aujourd'hui me rendent à chaque seconde de plus en plus blême. Donne-moi un rêve qui annonce cette mort brutale et soudaine qui déferont le sort jeté à mon âme devenue trop humaine. Donne-moi un rêve, oui, donne moi un putain de rêve qui rendrait ma vie moins terne et stopperais cette douleur qui minute après minutes en mon cœur se fait maudite souveraine.

- Toujours mon ange, c'est sans doute aussi pour ça que je fais parti de tes clients préférés...

Je ne me soucis guère plus du sang aguicheur que je répands à travers les quelques gouttes qui clapotent contre le sol, bientôt un autre plus racé viendra couvrir l'odeur musqué du mien. Je me contente simplement de virer les éclats de verre souillés sans plus de cérémonie. Puis préférant utiliser ma main gauche afin de l'exercer et préserver mon travail d'ambidextrie, me mets en position de tir après avoir rechargé l'arme. Première salve de tir concluante. Je recharge, sauf qu'au lieu de me rapprocher, je préfère tirer et reculer afin de travailler mon acuité. Ne m'arrêtant jamais de me mouvoir, chaque pas à reculons correspond à une balle. Décidément, j'aime les jouets que tu me propose mon ange, et tu le ressens, à ce sourire qui vient étirer le coin supérieur gauche de mes lèvres. Je tourne le visage à la dernière balle, contemplant l'un de tes larbins au lieu de ma cible au moment de tirer. Mes intentions et mon message étant plus que limpide, j'éjecte le chargeur vide que je lui balance contre le torse et fini dans ses mains.

Je reviens à ma position initiale, près de toi et t'avoue :

- Je reconnais que pour pareille symphonie, il aurait fallu sans doute un public plus averti, m'enfin, j'avais que ça sous la main, et on allait pas utiliser l'un de tes mignons aussi vite alors que, je suis sûre qu'ils n'ont même pas encore commencé à véritablement rentabiliser l'investissement qu'en eux tu as placé.

Ils ne sont que du bétail, des animaux fait pour tes basses besognes et te distraire quand l'envie t'en dit. Et comme tout bon maître, il te faut un certain taux de rentabilité sur tes petits bestiaux avant de pouvoir t'en séparer sans avoir le porte feuille qui ne se mette à flamber. Bien que, je ne doute pas de ta propension à savoir écouter tes instincts ni ta capacité à remplacer tout bon petit soldat qui t'aurait un peu trop irrité. Et c'est alors que subitement, tu m'intéresses. Cible mouvante. À ces mots tu viens raviver l'ivresse, titiller mon âme de démone vengeresse, car tu le vois, ce rutilent éclat de fureur qui reluit en mes iris à l'émeraude aussi tempétueux que versatile. Et je la ressens sans même avoir à me retourner, cette peur que tout autour de toi, en un souffle tu sais si habilement instiller. Je m'en enivre et la laisse me ramener d'entre les morts qui m'auront que bien trop tôt soumise. Le tambourinement répété contre la porte de l'entrepôt vient finir de confirmer ce que mon cœur n'osait véritablement espérer. Je me rapproche alors de tes pas, tendant l'oreille aux conseils que tu balances à ta propre proie. Je te détaille, toi et ta hache de lancé aussi scintillante qu'un phare appelant au crime au beau milieu d'une nuit rendue par l'appel du sang encore plus sublime. Je termine ce pas que tu as fait vers moi en me rapprochant davantage de toi, puis glissant mes mains sur ton torse :

- Seulement si on compte les points et si…

Et tu la sens remonter le long de ton buste puis de ton cou, cette main qui se stoppe un instant sur ta joue, puis l'arrête de ta mâchoire que mon sang vient maquiller de la plus exquise façon, avant de venir titiller tes lèvres et y déposer ce nectar que tout ton être au fond ne cesse de te réclamer. Insistant de mon pouce sur ta lèvre inférieure qui vient s'entrouvrir, de ma main gauche toujours sur ton buste, j'empoigne et tire sur ton haut tout en te ramenant un peu plus encore à moi, ma bouche, amphore du mal se rapprochant de sa jumelle et le bout de mon nez effleurant le tiens, j'ancre mes opales resplendissantes en tes puits de ténèbres envoûtantes. Mon souffle un instant se coupe, arrête de s'écraser contre ton derme froid tandis que mes lèvres dévient de leur trajectoire afin d'atteindre leur véritable destination et de venir répandre en le creux de ton oreille, promesse de mort et macabre merveille.

- …tu promets de m'offrir une fin aussi artistique que mirifique.

Et il s'abat de nouveau contre ta peau, mon souffle trop chaud pour ces rivages morbides en lesquels nuit après nuit, je viens rechercher ce que je n'ose de moi-même me donner. Je te relâche, d'un mouvement de paume toujours sur ton buste t'invite à reculer d'un pas, puis saisi en mon dos mon poignard de chasse demeuré à l'abris en mon holster, coupe rapidement un bout du bas de mon t-shirt anthracite que je finis par déchirer et enrouler autour de ma main afin d'absorber le sang et obtenir une meilleure prise pour notre future chasse improvisée.

- Allez, ouvre moi ces portes et fais-moi rêver. J'ai hâte de voir tout ce que tu peux m'offrir de plus, après tout, pour nous, la nuit vient à peine de commencer.

Je m'engouffre alors avec toi en ta cour de récré personnalisée. Observe les premiers éléments qu'il me faut mémoriser, analysant s'il y avait une éventuelle sortie au cas où il me faudrait l'utiliser ou empêcher quiconque de l'emprunter en fonction de comment la situation pourrait déraper. Jouant avec la lame de mon poignard, je te souffle :

- J'aimerais tellement que tu me dises que de merveilleux karambits tout beaux tout neufs m'attendent en guise de cadeau surprise ! Les poignards c'est sympa et super pratique mais bon, ils sont loin d'être aussi fun que ces derniers et sont encore bien moins destructeur que ta charmante hache.

Je m'arrête face à ton joujou et te demande en posant devant le futur mort et en le désignant du bout de ma lame :

- Tu nous présentes?

Bien qu'au fond, je me contre foute de qui ça pouvait être, avec ou sans moi, il était déjà mort de toute façon. Et au mieux je crèverais, au pire, je prendrais peut-être mon pied.