C'est ridicule... putain. Qu'il grogne intérieurement, sa paume écrasant le tube de gel pour en asperger son autre main. Il frotte, désinfecte dans un geste nerveux, trop sec. Ca lui empli le piff, le fait se froncer. Il déteste cette odeur, déteste encore davantage voir le liquide se mêler à la noirceur de ses doigts, imprégnés de cambouis. Ca se mêle dans ses narines, accentue la bile coincée dans le fond de sa gorge. L'infirmière l'observe, silencieuse. De cette froideur d'hôpital. De cette tenue de celle qui ne veut pas s'attacher, pas pleurer si jamais ça merde. Il la plaint, dans le fond, d'en être arrivée à devoir construire un mur de glace entre le monde et elle. Probablement qu'elle a dû en voir crever, ici. Dans cette chambre, peut être.
By that hospital bed
I should have quit but instead
I took care of you
You made me sleep and uneven
And I didn't believe them
When they told me that there
Was no saving you
-Veuillez enfiler la tenue Monsieur, l’aplasie la prive de toute défense, vous ne pouvez entré si vos vêtements ne sont pas aseptisés. Qu'elle lui balance, toujours de cette même politesse glacée. Il soupire, plus au rappel de la condition de sa soeur que pour la tenue. Il enfile la protection. Machinalement. Puis le masque. Puis la charlotte. Il aurait pu rechigner. Se contente d'hocher la tête. S’abstient en enfilant le tout, recouvrant ses cheveux, recouvrant ses habits, puis ses pompes en cuir. S'observe dans une grimace. Il aime pas ça, cette odeur, ces couloirs blanchâtres et ses tubes néons qui lui pètent le crâne. Il déteste sentir son palpitant manqué de lui remonter dans le gosier. Sa mine décrépite. Puis cette putain de tenue qui lui donne l'air d'une tortue ninja gonflée à bloc. L'infirmière lui esquisse un bref sourire, veut dire clairement "courage mon pote, t'es pas prêt" avant d'ouvrir la porte pour le laissé s'engouffrer dans ce que son esprit a emmagasiné comme l'antre de la mort. Parce que la mort, il la sent, toute proche. Elle est là, guette du bout de son lit d'hôpital, observe la carrure squelettique de celle qui lui a tant de fois inspirée la vie. Sa fauche entre ses doigts décharnés, sans se douter qu'elle aurait un visage d'autant plus carnassier.
Elle est là. Belle à en crever, ou crevée tout court. Le visage creusé, semblant presque tuméfié. Gonflé par les décharges toxiques soit disant faites pour la soigner. Y'a des tubes partout, puis cette machine qui pulse et recrache cet air chaud et maussade. Purificateur d'air.
Brouilleur de cervelle, ouai. Le bruit incessant Hayes le calcule pas. Il avance, presque prudemment. Se prosterne sur le fauteuil le plus proche. Le plus proche d'elle. Ses doigts cahoteux s'infiltrent contre la main frêle, reposée mollement sur le draps blanc. Ses phalanges pressent doucement la chaire, comme pour la prévenir de sa présence. Elle le fixe pourtant, de ses grands yeux bleus délavés, rongés par la fatigue. Un sourire se fend sur son visage pâle, ses orbes semblant rejaillir de son crâne. Premier craquement dans l'estomac. Dans la douleur, c'est pas le coeur qui souffre, mais les genoux qui appellent à l'aide. Faiblissent sous le dessin de l'inévitable. Et il comprend, là, penché sur son lit, que bientôt tout sera fini.
-T'as une sale gueule Gab. Qu'elle lance avec cette étrange douceur que l'homme n'arrive à saisir. Elle déborde de calme, une étrange sérénité sur le minois qui n'a rien perdu de sa tendresse. Le bonnet sur le haut de sa caboche masque le crâne lisse, accentue l'absence de sourcils. Semble rendre vierge le visage affaibli.
-T'as vu la tienne, tête de bille.
Qu'il tente, un sourire pour cacher le sanglot qui manque de percer à travers sa voix. Le silence retombe aussi net. Elle l'observe de cette façon indéchiffrable, comme si elle le voyait pour la première, ou dernière fois. Prête à le voir s'écrouler, là, sur ses draps. De ce regard que seul ceux sur le point de mourir, ont le droit d'avoir. Et ça le casse, de l'intérieur, de la voir. Toujours un peu plus. Se demande si la douleur connait des virgules. Se demande s'il sera capable de tenir encore, une seconde de plus. Avant de s'effondrer. De chialer comme un bébé. Hurler l'injustice pourrissante dont il est témoin et qui s'accentue au fil des secondes.
-Tess', tu sais... je serais toujours là, quand ça s'arrangera, tu te rappelleras que moi... j'ai jamais cessé d'y croire.
Ses doigts se resserrent. Assez fort pour réchauffer sa peau, pas assez, pour la blesser.
Ca va aller.
Qu'elle lui a murmuré avant qu'il ne se mette à sangloter.
...
La terre se mêle à ses bottes, se creusent dans une mélasse dégueulasse. Comme la gerbe qui le tient dans le creux du coeur. Tout le monde est là, reniflant et sanglotant à l'unissons, épaules serrées et bras enlacées. La pluie s'abat sur leurs parapluies, recouvre vainement leurs larmes. Le blondin les observe, le regard incrédule de celui qui ne comprend pas. Ne réalise pas. L'homme d'église fait son sermon, de sa main, donne la prière avant que la terre visqueuse ne s'abatte à son tour sur la boite qui contient ce qui reste de Tess'. Ensevelissant les souvenirs de son visage. Ne laissant sur son passage, que le goût amer de la perte. Un arrière goût de fer lui parvient, s'insinue contre son palais. Sa langue coincée sous ses dents serrées. Il reste planté là, sans se mêler. Seul, dans ce qui reste de l'homme qu'il a été. Rien ne sera plus jamais comme avant. Un bout de lui vient de rejoindre la terre exécrable. Il se disloque, sous le torrent d'instants s'écoulant après l'enterrement.
-Viens avec nous Gaby'. La mère tente d'attirer son fils. Espère l'enlacer tout en le sortant de son état lugubre.
-Laisses moi.
Le ton la fait reculer, de nouveau sangloter avant de finalement la faire disparaître à travers la brume qui recouvre ses yeux.
...
-Tu sais de quoi t'as l'air Gab ? D'un fucking malade, alors bouges de là et casses toi. Il se marre, sa bière coincée entre ses doigts, tronant sur sa cuisse alors qu'il s'installe un peu plus confortable contre sa chaise. Le regard noir, le coin de la bouche remonté dans un sourire sournois.
-Un p'tin de malade tu dis ?
Une rasade de bière s'engouffre entre les lèvres, dégouline dans sa barbe avant qu'un nouveau rire le secoue. Frénétique. L'oeil noirci par un éclat de folie.
-T'peux pas te douter à quel point t'as raison.
Il balance la bouteille vide dans un coin de la pièce. Sans se formaliser du fracas, l'homme se redresse pour venir se saisir du col de James. Souffle son haleine alcoolisée à la gueule du lupin, planqué sous son faciès qui feint l'ignorance.
-Huit ans... huit putain d'années qu'on s'connait, pas vrai ? Huit que j'vois ta gueule me sourire, me rire sous l'piff... huit ans que t'aurais dû crever.
La poigne l'écrase contre le mur, le reste du torse vient se plaquer contre celui de James. Le blondin saisi son flingue, lui colle contre le bide. Le métal gelé à même le derme, il murmure.
-T'imagine pas ma surprise quand j'ai vu ton nom d'connard sur la liste des tronches à ramener au Ribcage... t'imagines pas ma surprise... encore moins ma gueule quand l'supérieur m'a demandé d'lui confirmer si j'te connaissais.
Il se débat, James. Contre le mur, écrasé contre son ancien collègue de taff, le flingue à la main, l'iris gonflée à bloc par la rage. Il déglutit, tremble intérieurement. Sent ses muscles frémir par la puissance de la bête qui tente de rejaillir de ses membres. Ca se tord, quelque part, ça craque. Pas assez rapidement pour éviter la balle qui part. L'argent qui ronge et décale tout ce qu'il trouve sur son passage. Les tripes retournées. Ayant pour seule chant funeste, le cliquetis du barillet.
-Chuut... ils en sauront rien, tu sais ? Eux c'qu'ils veulent c'est qu'les gens comme toi disparaissent... ils s'en branlent pas mal de la manière. Ils sauront pas, que t'as été trop con pour te débattre.. trop con pour fuir.
Gabriel le relâche, laisse ce qui reste de sa carcasse crevée contre le plancher. Et il sourit, quelque part. Y'a du plaisir dans le fond de ses entrailles. Un accomplissement abject, une faute impardonnable.