In The Air Tonight | Aidan & Edana

« Sweet dreams are made of this, Who am I to disagree?, I travel the world and the seven seas, Everybody's looking for something »

Le son de la chanson perçait ses tympans tandis qu'elle tapait de la mesure sur son volant. Une réunion importante avait lieu dans moins d'une demie heure au CODECS et la jeune femme se retrouvait entièrement bloquée dans une file d'embouteillage sans fin. Heureusement que la radio parvenait encore un peu à la détendre parce que sinon Edana était persuadée qu'elle finirait par rentrer dans le coffre de quelqu'un juste pour lui donner une raison de ne pas devoir se rendre à son rendez-vous. La fermeture du Ribcage forçait les membres des forces de l'Ordre de Bristol à vérifier davantage les identités de chacun, une douane temporaire supplémentaire ayant été installée dans différents quartiers de la ville. Et bien entendu, cela obligeait chacun à mordre sur sa chique et à supporter les contrôles sans broncher. Mais si on lui demandait son avis... qu'ils aillent se faire voir chez les grecs.

La brune poussa un soupir avant de regarder par la fenêtre. Le temps n'était pas excellent pour une fin de journée mais pas dégueulasse non plus et elle se prit à penser qu'elle ne serait pas contre quelques vacances. Si tant est qu'on lui permettait de partir pour quelques jours. Hésitation qui aurait son juste titre, parce que la jeune femme y verrait sans aucun doute l'occasion d'embarquer son opposé tout juste sorti du Ribcage et de fuir sans se retourner. Bristol n'avait rien à lui apporter et désormais, la télépathe voyait à quel point les mises en garde de Kyle avaient été justes. Si elle avait été un peu moins têtue et l'avait plus écouté, leur situation serait toute autre. Et le relent de culpabilité qui lui vrillait l'estomac du matin au soir n'y aurait jamais eu sa place.

Il lui fallu un moment pour arriver à destination. Là, comme d'habitude, la jeune femme pénétra le bureau de son agent assigné, répondant aux questions, se pliant aux évaluations, acceptant sans rechigner chaque injonction de la bureaucrate. Une heure plus tard, la nuit été tombée et la jeune femme en profita pour souffler, profitant de ces quelques instants pour se dégourdir les jambes. Ces rendez-vous étaient aussi désagréables qu'inutiles et la brune n'en pouvait plus. Ses lèvres pincées sur une cigarette qu'elle venait d'allumer, la journaliste serra son sac contre elle et commença à avancer. Victoria Park était un endroit magnifique, elle ne pouvait le nier. De grands arbres, une ambiance enfantine, tout pour que chacun s'y sente à son aise. Mais la nuit tombée, les jeux d'enfants prenaient des allures bien solitaires qui n'empêchaient pas son coeur de se serrer à l'idée de sa fille exilée en France. L'Altération recracha doucement la fumée, fermant les yeux avant de se retourner et de bousculer quelqu'un. Maladresse du soir, bonsoir.

« Toutes mes excuses, j'étais dans mes pensées... »

Et il ne fallait pas beaucoup pour qu'elle y reste, il fallait dire. Un sourire contrit se glissa sur ses lèvres tandis qu'elle relevait les yeux vers son interlocuteur improvisé.

« Pour tout vous avouer... Je ne vous avais même pas entendu. »

Les billes bleutées rencontrèrent un regard sympathique accompagné d'un sourire qui l'était tout autant et la brune finit par rendre la pareille à son vis à vis. Si dans son étourdissement elle ne l'avait pas reconnu directement, la bouille avenante de son interlocuteur avait fini par percer son cerveau. La télépathe haussa les épaules avant d'écarter les bras comme pour répondre « et oui, c'est moi ! » et de les plaquer à nouveau le long de son corps. Une moue contrariée suivit la question d'Aidan tandis que l'altération poussait un soupir aussi long que lourd. Elle écarta alors la cigarette d'une dizaine de centimètres – autant éviter de brûler un vampire – et finit par lui répondre.

« J'avais rendez-vous au CODECS. Et on peut dire que ce n'est jamais vraiment agréable de se faire décortiquer de A à Z. J'avais besoin de souffler. »

L'humaine tira une dernière fois sur le bâton de nicotine qu'elle venait de lui montrer, avant de le jeter au sol et de l'écraser de son talon. Autant pour l'écologie mais les parcs étaient quand même un des endroits les moins bien agencés pour le tri sélectif. Puis, Edana devait avouer que c'était carrément le cadet de ses soucis, pour le moment. Si quelque chose devait être à l'ordre du jour, probablement que l'écologie et les bons sentiments de bobo passeraient en dernier lieu. Dans le monde actuel, en tant qu'Altération liée à une Aberration, la seule chose qui lui importait c'était de survivre et de sortir son opposé de sa cage d'acier. Et accessoirement, tout faire péter si l'occasion lui était donnée.

À nouveau la jeune femme étira un sourire en direction du vampire.

« Tu fais quelques pas avec moi ? »

Il était étrange de se rencontrer de la sorte. Les liens entre eux n'étaient pas très forts mais la jeune femme était forcée d'apprécier le caractère d'Aidan. En même temps, il lui semblait difficile d'imaginer que le jeune homme puisse avoir un quelconque ennemi tant il inspirait la bonne humeur et la confiance. Si ce n'étaient pour les canines plus proéminentes de sa dentition, la journaliste n'aurait jamais pu imaginer quelle nature agitait son compagnon. La brunette se détourna alors et commença à avancer lentement, observant le parc alentours.

« Tu sais qu'il n'est pas extrêmement prudent pour toi de rester des heures dehors ? Qu'est-ce qui t'amène par ici d'ailleurs ? »

Edana tourna le visage vers Aidan, lui souriant doucement.

« En tout cas, je suis contente qu'ils ne t'aient pas attrapé. »

Elle aurait pu rajouter un « encore » parce que la triste vérité était que ce n'était certainement pas quelque chose d'impossible. Ses illusions concernant l'avenir des aberrations et altérations de cette ville n'étaient plus très présentes, si la journaliste devait être honnête. Et si chacun l'était tout autant,  ils seraient assez d'accord avec elle. L'avenir à Bristol craignait. Vraiment.

La brune lui adressa un sourire amusé avant d'hausser les épaules. C'était ainsi qu'allait la vie à Bristol et il eut été stupide de croire le contraire. Peut-être qu'être un humain "normal" – notion sensible à définir – avait des avantages mais eux, créatures honteuses et embarrassantes, n'avaient pas le luxe de penser à cela. La télépathe répondit à son rire léger et resserra son manteau autour d'elle. Ces séances étaient vraiment loin d'être agréables pour elle. Déjà parce qu'il fallait prétendre davantage d'être parfaitement intégrée dans une société qui la rejetait simplement parce qu'elle pouvait faire des choses qu'ils étaient incapables de faire. Pour ce qu'elle en pensait, leur peur reflétait plutôt une certaine jalousie. Ils s'avancèrent, marchant côte à côte et la jeune femme ne put s'empêcher de promener son regard sur le parc. Comment un endroit aussi beau pouvait-il être rempli de gens si mauvais?

La réflexion d'Aidan lui arracha un nouveau rire, bref mais intense et l'humaine tourna un regard espiègle dans sa direction.

«  Oh il y a des tas de vices qui sont de très mauvaises habitudes. Crois-moi de tous mes défauts, fumer est sans doute le moins impressionnant. »

Surtout lorsqu'on pensait que ce petit bout de femme à l'aspect fragile était capable de vous torturer comme le diable en personne lorsque ses proches étaient en jeu. Mais cela, Edana ne pouvait pas le dire à haute voix bien entendu... imaginez un peu la scène " oh tu sais Aidan, quand on tortures des gens, fumer, c'est un peu le dernier souci que l'on puisse avoir". Ça ne passerait définitivement pas terriblement bien dans la conversation. Surtout depuis qu'elle était supposément une nouvelle femme – bien que personne ne sache pour ses penchants de bourreaux. La brunette haussa les épaules alors, resserrant les pans de sa veste contre elle, tout en suivant le mouvement de la marche. Il était rare pour elle de rester dehors à des heures pareilles désormais. Déjà parce qu'elle était pratiquement sure d'être suivie assez régulièrement et que Jude n'était pas fan de ses sorties improvisées, mais la raison principale était que le goût n'y était pas, tout simplement. L'humaine à don finit par s'inquiéter des sorties du vampire et sa réponse lui arracha un sourire triste.

Oui, vivre à Bristol tenait plus de la survie lorsque l'on avait une part de surnaturel en soi. Et lorsqu'il embraya sans même lui laisser le temps de réagir, la télépathe ne put retenir un léger rire qui s'endormit en quelques secondes au fond de sa gorge.

« Je ne suis pas spécialement étonnée! Mais c'est assez chouette que tu arrives à tirer ton épingle du jeu sans te faire attraper pour autant. Ça ne doit pas être évident tous les jours, et tu dois avoir sacrément confiance pour accepter la situation. »

Peu de gens emploieraient un vampire après tout, elle la première. Non pas que l'Altération aurait peur d'une Aberration – bien loin de là – mais par les temps qui courraient, la confiance n'était pas spécialement de mise. Il lui arrivait déjà de douter d'un humain bien humain, alors de quelqu'un avec une cible sur le dos... non pas vraiment.

« Mais tu as bien raison, ce serait idiot de ne pas profiter de ta liberté... On ne sait jamais quand elle pourrait prendre fin. Enfin je parle en général hein, je suis loin de te le souhaiter ! »

La brune lui répondit par un nouvel haussement d'épaules. C'était un peu le dernier cadet de ses soucis en l'instant à vrai dire. Ce n'était pas comme si Burton n'attendait pas de la mettre derrière les barreaux à nouveau. Donc...

« Pas vraiment. Ils n'attendent pas spécialement pour tenter de m'enfermer à nouveau alors tu sais... ce n'est pas vraiment l'excuse qui leur manquerait. »

L'humaine tourna vaguement la tête en direction d'Aidan, tout en lui adressant un sourire d'une douceur plutôt déstabilisante lorsqu'on la connaissait.

« Comme ça peut aller par les temps qui courent. Et quand tu n'as pas la possibilité de voir l'unique personne qui peut te maintenir la tête sur les épaules. »

Elle parlait rarement de l'enfermement de Kyle. Déjà parce qu'elle en était en partie l'origine et parce que ça lui rappelait combien son opposé pouvait lui manquer. Mais Aidan semblait l'une des rares personnes à Bristol à pouvoir envisager de comprendre ce qu'elle pouvait traverser, au vu de ce qu'il avait accepté de faire avec son aide, quelques temps auparavant. Alors bon il ne fallait pas se cacher non plus de ce qu'elle pouvait vivre au quotidien.

« Mais ça va, je te rassure. Racontes-moi un peu où tu as réussi à te dégoter du boulot, et comment se passe le quotidien d'un vampire en cavale juste sous le nez des forces de l'ordre ? Histoire qu'après on puisse se moquer un peu d'eux. »